Polar
Caryl Férey
Grindadrap

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Caryl Férey
Grindadrap
Gallimard
03/04/2025
20 €
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Chronique de
Maria Ferragu
Librairie Le Passeur de l'Isle (L'Isle-sur-la-Sorgue) -
❤ Lu et conseillé par
4 libraire(s)
- Betty Duval-Hubert de La Buissonnière (Yvetot)
- Nathalie Baylac de Matière Grise (Montrouge)
- Aurélie Bouhours de Au temps des livres (Sully-sur-Loire)
- Novelenn Louise de Agora (La Roche-sur-Yon)

✒ Maria Ferragu
(Librairie Le Passeur de l'Isle, L'Isle-sur-la-Sorgue)
Caryl Férey transcende les codes du polar dans un texte puissant et empreint de réalisme poétique. À travers la description exceptionnelle d'une tempête implacable et d'une nature hostile, il interroge la confrontation entre la force des traditions, la faiblesse des hommes et la nécessité d'une évolution de nos comportements.
Comment vous est venue l'envie d'écrire sur cette pratique du Grindadrap et des traditions qui l’entourent ?
Caryl Férey Après m’être penché sur les conditions de vie des animaux terrestres, un état des lieux des océans s’imposait comme un diptyque. Deux cris d’alarme, sachant que le traitement des mers par les humains est sans doute pire que celui des terres émergées. Et puis, j’ai une certaine passion pour les cétacés, en particulier les orques, une espèce bien supérieure à la nôtre. Les orques ne se battent pas, s’aiment aussi forts que nous pouvons parfois nous aimer, humains, et feraient tout pour sauver l’un des leurs. On en est loin !
Construisez-vous vos intrigues policières autour d'un contexte géographique/politique ou est-ce le lieu/contexte qui vous inspire en premier et autour duquel se construit l'intrigue ?
C. F. Un peu des deux. Je n’ai pas de méthode de travail arrêtée qui me figerait dans mon mouvement général. J’aime l’improvisation, surtout ne pas savoir ce qui va arriver : ce n’est pas le doute qui rend fou mais la certitude, comme le dit Nietzsche. Je me suis rendu aux Féroé avec l’intention de parler des Grindadrap. L’Histoire de l’archipel étant assez pauvre (ils ne sont que 50 000 individus à vivre sur place, perdus au milieu de l’Atlantique Nord), je n’allais pas brosser un portrait politique et sociale d’envergure, juste me contenter de ce que je voyais – aidé tout de même par de la documentation mais très limitée par rapport à mes précédents livres.
Quel travail de documentation ou d'immersion avez-vous fait pour en apprendre davantage sur ces pratiques et sur l’ONG Sea Shepherd ?
C. F. Je suis Sea Shepherd depuis des années dans leur combat. Aussi, quand j’ai décidé de partir aux Féroé pour parler de la traditionnelle pêche à la baleine, l’organisation s’est imposée dans le roman : ils sont persona non grata sur l’archipel car ce sont les premiers défenseurs des cétacés massacrés là-bas tous les étés. C’est une situation complexe donc intéressante : il n’y a pas les bons et les méchants. J’ai rencontré Lamya Essemlali de Sea Shepherd France (qui a accueilli Paul Watson après son éviction du conseil d’administration de sa propre ONG) ; le courant est passé tout de suite. Leur combat est le mien, le nôtre vu l’état des océans. J’ai également consulté la collection « Monde sauvage » d’Acte Sud. Tous ses livres sont très bons. Je suis notamment un grand fan de Baptiste Morizot. Quel bonheur de lier philosophie et environnement ! (Lui aussi va sur le terrain.)
Il me semble que ce texte, notamment par le réalisme poétique qui le parcourt, est un peu différent de vos précédents ouvrages.
C. F. Pour moi, complètement, oui. C’est la première fois que j’écris à la première personne et au présent (du moins la moitié du livre). Ce qui change tout dans la narration qui devient subjective. Tout est vu par les yeux du jeune plongeur embarqué avec Sea Shepherd, avec des considérations parfois loin de mon expérience personnelle – j’ai la phobie de la mort en apnée ! Et puis il y a l’influence de Jean Malaurie qui traverse ces pages. Il est ma caution auprès des cartésiens qui trouveront que je délire (voir la plongée « chamanique » du narrateur). En réalité, je cherche le lien perdu entre l’humain, les animaux et la nature qui nous a constitués, et continue de nous envoyer des messages. Celui de Grindadrap n’est pas ultra joyeux mais je n’invente rien : notre espèce s’autodétruit à toute vitesse, en toute conscience. Trump et compagnie mentent, on le sait, mais leurs adversaires aussi. Ils n’en ont juste rien à foutre. La poésie est ce qu’on peut opposer à ces gens-là, sans modestie : je crèverai avec la beauté dans les yeux, eux avec la crotte au cul – et je l’espère, le plus vite possible.
Serait-il envisageable de retrouver certains des personnages dans un prochain roman, autour d'un nouveau fil narratif ?
C. F. Je ne pense pas, non. J’ai toujours envie d’aller voir ailleurs ou alors sous une autre forme. Souvent mes personnages continuent à vivre « après le livre ». Mapuche est vieux maintenant mais depuis sa sortie, Jana et Ruben ont fondé une famille et filent le plus parfait amour. C’est assez rare !
Au cœur des îles Féroé, alors qu’un Grindadrap vient d’avoir lieu (chasse traditionnelle aux cétacés), une tempête approche et sème le chaos dans l’archipel. Les éléments se sont déchaînés, comme une punition à la folie des hommes, et c’est tout un bateau de Sea Shepherd qui fait naufrage au milieu des animaux échoués mais aussi de celui qui était censé être le chef de cette pêche. Le Capitaine de la police doit mener son enquête dans un climat particulièrement tendu car les militants écologistes présents sur l’île ne sont pas les bienvenus et les esprits s’échauffent ! Un roman haletant et particulièrement réussi qui résonne fortement avec l’actualité des derniers mois et le traitement réservé à Paul Watson.