Porté par une construction narrative qui renforce la tension et la sensation d’inéluctabilité, ce premier roman est un texte essentiel à mettre entre toutes les mains. Inès Bayard, 26 ans seulement, fait une entrée fracassante en littérature et dresse le portrait de notre société, où les violences physiques subies par les femmes sont trop souvent tues (et tuent), et où le silence ne devrait pas être la seule issue pour celles que personne ne semble pouvoir (vouloir) aider.
PAGE - Pourquoi cette femme « normale » d’une catégorie socioprofessionnelle supérieure, éduquée, choisit-elle le silence après le viol dont elle a été victime ?
Inès Bayard - Elle est d’abord très attachée à son quotidien, à son foyer et elle n’est pas habituée à ce qu’il se passe quelque chose de traumatisant dans sa vie. Elle a des relations sereines, une vie de couple que l’on pourrait qualifier de banale. Face à cette violence, elle ne va pas savoir comment réagir. Elle pense qu’à travers le silence, elle va pouvoir se sortir seule de cette situation. Malheureusement, son corps va en décider autrement. Je souhaitais pouvoir parler du corps des femmes. Passer par le viol me permettait de le faire. C’est sous ce prisme que j’aborde l’intégration de la violence dans la banalité d’un quotidien et l’impossibilité d’y faire face.
P. - Tout le livre est habité par la thématique du corps. Une scène marquante est celle où l’héroïne, seule chez elle, laisse aller complètement son corps, jusqu’à retrouver une sorte d’animalité où une autre forme de violence va s’exprimer.
I. B. - La scène que vous mentionnez est un passage clé du livre. Ne plus se laver, ne plus travailler, ne plus être en contact avec l’extérieur, ne plus effectuer les tâches domestiques, être dans un laisser-aller complet où on se retrouve dans un espace totalement coupé de la réalité mais aussi d’abandon total. Dans le cas des femmes, je pense que c’est quelque chose que l’on accepte moins et c’est pour ça que cette scène paraît aussi violente à la lecture. La misanthropie des hommes paraît plus poétique. Chez la femme, elle est associée à la vulgarité. Malgré la violence qui ressort de cette scène, je tenais à ce qu’elle existe. Elle me permet de montrer que parfois le corps ne répond plus aux exigences d’une société qui ne l’écoute pas. Dans le cas présent, la propre famille de Marie ne voit rien et n’aura pas les moyens d’aider cette femme en grande détresse. Dans cette scène, où on voit la décomposition presque mortifère du corps, elle va pourtant reprendre le cours de son quotidien. Dans ces circonstances, certaines femmes s’effondreraient, d’autres se battraient. Marie passe d’un état à l’autre. C’est aussi ce qui est intéressant avec ce personnage, son instabilité.
P. - Si on revient au début de votre roman, il y a une autre scène clé qui est la scène d’ouverture. Sans en dévoiler le contenu, on peut dire que vous choisissez une construction narrative qui va donner une tension au récit puisque vous nous dévoilez dès le départ la fin de l’histoire. Pourquoi ce choix ?
I. B. - Parce que je pense, pour avoir lu de nombreux romans policiers, que c’est une construction efficace. Mais aussi parce qu’il était important que l’on sache dès le départ ce qui allait se passer, de plonger le lecteur dans une violence immédiate sans tourner autour du pot. Cela permettait aussi de trancher avec le début du livre qui est beaucoup plus calme avant le drame.
P. - N’avez-vous pas peur que l’on vous reproche la « morale » de cette histoire qui voit la « faible » femme « vaincue » par l’homme fort ?
I. B. - Il me semble que dans nos sociétés, quoi que l’on vive, mais notamment dans les cas de violences physiques, les forts ont souvent tendance à l’emporter. D’ailleurs, le violeur va ici complètement disparaître. La société est bien un terrain de chasse où les plus forts ont tendance à prendre le dessus sur les autres. Mais si vous lisez les premières pages du roman, vous verrez que Marie a repris les choses en main, même si c’est dans une logique jusqu’au-boutiste.
P. - Le choix de ce titre, Le Malheur du bas, n’est pas d’un optimisme forcené. Au-delà du viol, est-ce la condition féminine qui est en soi un malheur ?
I. B. - Le « malheur du bas » est apparu à l’intérieur du récit par l’expérience du viol. Si j’ai été capable d’écrire ce texte, c’est parce que je connais mon corps, je sais comment il fonctionne : beaucoup de choses se passent en bas. Il y a une thématique du corps qui se centralise dans le bas ventre et cette femme souffre du début à la fin d’être une femme. C’est aussi cette condition de femme qui la fait basculer dans la folie parce que son corps, au-delà du viol, ne lui appartient plus vraiment. Ce qui m’intéressait avant tout, c’était de parler des violences physiques sur le corps des femmes, de parler du corps de façon organique, de remettre à sa place ce qui doit l’être car ce sont des sujets encore trop peu abordés aujourd’hui.
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Du vendredi 21 septembre 2018 au dimanche 23 septembre 2018,
Rencontre et dédicace à Livres en Vignes au Château du Clos de Vougeot (21)
Mercredi 26 septembre 2018 de 19h à 21h,
Librairie Gibert Jeune St Michel à Paris (à préciser)
Samedi 29 septembre 2018 à 17h30,
Librairie Antipodes à Enghien-les-Bains
Samedi 29 septembre 2018,
Festival Vi.f à Villejuifn en partenariat avec la Générale Librest
Mardi 2 octobre 2018 de 17h à 19h,
Librairie Hisler-Even à Metz
Jeudi 4 octobre 2018 à 20h,
Librairie Labyrinthes à Rambouillet
Samedi 6 octobre 2018 de 15h à 18h,
Librairie Saint-Pierre à Senlis
Du jeudi 11 octobre 2018 au samedi 13 octobre 2018,
Automnes en Librairie en partenariat avec l’Association Libraires du Sud (lieu à préciser)
jeudi 18 octobre 2018;
Librairie Sauramps à Montpellier