Littérature française

Wilfried N’Sondé

Contre vents et marées

L'entretien par Maria Ferragu

Librairie Le Passeur de l'Isle (L'Isle-sur-la-Sorgue)

Un jeune orphelin du Congo devenu prêtre voit sa vie basculer quand il est nommé ambassadeur auprès du Pape. Dans un XVIIe siècle gangrené par l’esclavage et la violence, cet homme candide vivra un voyage initiatique au cœur de la folie des hommes. L’auteur nous entraîne dans un roman d’aventures puissant et poétique

PAGE — Wilfried N’Sondé, vous venez de recevoir le Prix France Bleu/Page des libraires. Quelle a été votre réaction en l’apprenant ?
Wilfried N’Sondé — Tout d’abord, une vive émotion m’a soudainement vidé. Je n’arrivais pas à y croire. Puis ma joie a éclaté d’un coup ! Ce fut un état proche de l’ivresse ! Je suis très fier de ce prix de journalistes, de lecteurs et surtout de libraires. Être choisi parmi tant de livres, par autant de connaisseurs et d’amoureux de la littérature est tout simplement magique, extraordinaire. Pour la petite histoire, c’est la première fois que je gagne un prix littéraire sans connotation africaine ou francophone. C’est une bonne nouvelle. Je remercie les membres du jury du fond du cœur car le réseau Page donne à mon roman un label de qualité. Il lui permettra, je suppose, une distribution d’envergure et dynamisera le bouche à oreille. Cela ouvre des perspectives très intéressantes, je m’en réjouis d’avance.

P. — À travers ce nouveau roman, vous racontez le destin d’un homme, Nsaku Ne Vunda (rebaptisé Dom Antonio Manuel), qui a réellement existé. Comment vous est venue l’envie de raconter cette histoire ?
W. N’S. — Les raisons sont multiples. Il y avait d’abord l’envie pour moi de revisiter la traite transatlantique et la singularité de Nsaku Ne Vunda était idéale pour l’aborder sous un angle nouveau. Il n’était ni esclave, ni esclavagiste et sa présence sur ce bateau, à l’extérieur de la cale, prouvait qu’à son époque la couleur de peau n’était pas un facteur déterminant l’identité des êtres humains. J’avais aussi à cœur d’écrire un roman d’aventures : là encore, le destin de ce personnage se prêtait tout à fait à l’exercice. Nsaku Ne Vunda se révéla être un personnage si parfait que jamais je n’aurais pu l’inventer. Il avait aussi l’immense avantage d’être méconnu : j’aime écrire des romans où le lecteur découvre et apprend.

P. — Avez-vous été fidèle à son histoire ou le romancier qui est en vous a-t-il aussi joué avec la réalité ?
W. N’S. — J’ai été relativement fidèle à son parcours de Luanda à Rome, mais il me fallait inventer toute la subjectivité des personnages et leurs perceptions. J’ai aimé ce voyage entre réalité et fiction, d’autant qu’il y avait énormément de trous, de zones d’ombres dans la vie de Nsaku. J’ai souvent procédé par déduction, par recoupement. Mais j’ai aussi, parfois, sciemment triché avec l’Histoire !

P. — Cette histoire se passe au XVIIe siècle. Il y est question de l’esclavage, de l’Inquisition, de la violence des hommes. Pourtant, on y voit aussi une résonance forte sur les thématiques de notre époque.
W. N’S. — À l’échelle de nos vies humaines, 400 ans nous semblent longs. En vérité, si l’on considère l’histoire de l’humanité, notre siècle et celui de Nsaku se confondent. Le XVIIe siècle annonce le nôtre, il en est le prélude, le moment où l’enrichissement tous azimuts commence à prendre le pas sur les considérations morales et spirituelles, quand la valeur de la vie humaine se chiffre avant de se penser.

P. — Dans ce monde très masculin, quelle pouvait être la place des femmes ?
W. N’S. — La place des femmes à cette époque n’était pas du tout enviable, il était très important pour moi de le rappeler dans ce livre. Là aussi, d’énormes progrès doivent être réalisés aujourd’hui. J’ai éprouvé les pires difficultés à concevoir un personnage féminin issu des couches les plus basses de la société et d’en faire un personnage pensant et agissant. L’histoire de ces femmes a été écrite par des hommes, c’est regrettable. J’aurais aimé qu’elles nous disent quelle était leur place dans leurs sociétés.

P. — Vous traitez dans ce livre de sujets graves, tels que l’esclavage et l’inhumanité des hommes. Pourtant, on se prête souvent à sourire. Était-il important pour vous d’alléger le propos du livre par des situations parfois cocasses ou absurdes ?
W. N’S. — Oui, j’ai accordé beaucoup de soin à l’équilibre de ce texte parce qu’il s’inscrivait dans un contexte de grandes violences physiques et mentales. Il fallait donc penser des moments plus légers afin que le lecteur puisse souffler et éviter que son attention ne croule sous le poids des horreurs. Il s’agit là de l’éternel recherche de la note bleue, entre ombres et lumières. Et puis, ce va-et-vient entre gravité et légèreté n’est-il pas, tout simplement, le lot de l’existence ?

P. — Votre livre est porteur d’une forme d’universalité puisqu’il nous ramène à la nécessité d’affirmer nos convictions tout en respectant celles des autres.
W. N’S. — Affirmer nos convictions dans un élan d’ouverture vers l’autre, le traiter avec dignité, considérer toute vie humaine comme une Histoire… sacrée !