Littérature française

Régis Jauffret

Papa

illustration

Chronique de Jean-François Delapré

Librairie Saint-Christophe (Lesneven)

Comment raconter la trajectoire d’une vie qui commence en 1943 dans un film de sept secondes dans un documentaire sur la police de Vichy ? Papa, comme un cri sur l’image. Pas mon père, non, Papa, les mots d’un enfant.

C’est un film, l’image d’un père menotté, en 1943, un homme, son père qui défile sur l’image entre deux gestapistes. Régis le fils reconnaît le père, comme il reconnaît la porte cochère de l’immeuble, le 4, rue Marius Jauffret. Sauf qu’il ne sait rien de cet homme, rien de ce père. Que fait-il ici, est-il un héros, un traître, une erreur judiciaire, qui est cet homme entre deux hommes qui le malmènent ? C’est un film court, c’est le début d’un roman évidemment. Remonter le cours de l’histoire pour agréger tous les éléments, remplir les vides avec ce qui aurait pu être. Jauffret fils invoque, convoque, se souvient, invente jusqu’aux plus belles pages du livre, cette virée à Morgiou en scooter où le père et le fils se disent plus qu’en toute une vie. Il ne faut jamais confier ce genre de film à un romancier, surtout quand tout ce qu’il se rappelle de son père est un silence, un père muré dans sa surdité qui se cache dans son monde et qu’il lui faut donc inventer. Il le dit lui-même, il a quasiment vécu sans père et ces images qui viennent le frapper en plein visage lui intiment d’écrire sur cette absence, de sublimer ce qui n’existe pas. Entre les fils intimes de la famille, il y a aussi l’image de la mère, cette Madeleine qui sera à la fois et père et mère, car il faudra bien relier les deux bouts de l’histoire. Régis Jauffret a longtemps hésité avant de l’écrire, ce Papa qui sonne comme le cri au secours d’un enfant perdu dans le noir, qui tâtonne, la main collée au mur, avançant doucement de peur de rater la première marche de l’escalier. Il a fini par trouver la lumière, les mots, la musique. « Il faut toujours se méfier des romanciers. Quand le réel leur déplaît, ils le remplacent par une fiction. » L’avantage avec les grands romanciers, c’est qu’ils en font un grand roman.

Les autres chroniques du libraire