Essais

Ella Berthoud

C’est grave, docteur ?

Entretien par Jean-François Delapré

(Librairie Saint-Christophe, Lesneven)

Il y avait le Lagarde et Michard qui empoussiérait la littérature, il y aura désormais le Berthoud/Elderkin qui la ragaillardit. Indispensable vade-mecum du lecteur et du libraire, il vous permettra de soigner toutes les pathologies. Tiens, l’agueusie, page 41, une grande thérapeute vous en fournit le remède. C’est jubilatoire et ça vous injecte cette douce maladie qui porte pour nom « l’envie de lire, encore et encore ».

Page — Des clients nous disent que certains livres devraient être remboursés par la Sécurité Sociale. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?
Alexandre Fillon — Oh combien ! Même s’il faut rester vigilant et se méfier des génériques, bien insister auprès de son libraire pour se faire délivrer l’exact médicament requis.

P. — Remèdes littéraires est en quelque sorte le Vidal des lecteurs et un peu des libraires, comme il existe le Vidal des médecins. Mais Docteur Fillon, y-a-t-il autant de posologies que de malades littéraires ?
A. F. — Il est parfois difficile de ne prescrire qu’un seul remède, et il est aussi tentant d’en associer plusieurs. Ella Berthoud et Susan Elderkin l’ont bien compris, elles qui proposent parfois deux ou trois romans à lire à intervalles réguliers à leurs patients, comme autant de « pansements et cataplasmes fictionnels ».

P. — L’addiction à la littérature ne nuit pas vraiment à la santé (quoique !), mais connaissez-vous un roman qui puisse réellement mettre en danger le lecteur ?
A. F. — Les livres dérangeants, s’ils ne guérissent pas, font réfléchir ou provoquent une sorte d’électrochoc. On ne sort pas indemne de la lecture du Nageur dans la mer secrète de William Kotzwinkle, par exemple, ou de celle de Rafael, derniers jours de Gregory McDonald. Deux textes qui interrogent de manière violente la condition humaine.

P. — Remèdes littéraires est un dictionnaire qui se picore. Il ne se lit pas d’un seul tenant. On l’ouvre et on découvre nos propres livres de chevet vus différemment. Alors, le même livre peut-il guérir différentes pathologies ?
A. F. — Oui, car les grands livres ont toujours plusieurs niveaux de lecture. On ne les appréhende pas de la même manière suivant l’âge ou le moment où on les découvre.

P. — Il n’y a rien à gourmandise. Quel serait le livre qui caractériserait ce si joli mot ?
A. F. — Comment choisir entre Biographie sentimentale de l’huître de M.F.K. Fisher, J’aime être gourmande de Colette, Cènes de famille de Jean-Louis Maunoury, Éloge de la palourde de Marc Le Gros, Un homme dans sa cuisine de Julian Barnes. On pourrait aussi avancer que les chroniques d’Alexandre Vialatte sont gourmandes. Comme sont gourmands les grands romans de John Irving.

P. — Dans cette dernière rentrée littéraire, quel est le livre que vous auriez eu envie de voir nommé parmi ces Remèdes littéraires ?
A. F. — Il y en a plusieurs ! Je pense notamment à Eva de Simon Liberati, à Crans-Montana de Monica Sabolo, à Histoire de l’amour et de la haine de Charles Dantzig. Et du côté des étrangers, à D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds de Jón Kalman Stefánsson ou à Intérieur nuit de Marisha Pessl. Mais je vous laisse deviner à quelles pathologies ils peuvent être associés !

P. — Nous sommes tous les jours assaillis de demandes de parents qui nous disent : « il ne lit rien, trouvez-moi quelque chose qui lui donne l’envie de lire ! ». Pensez-vous qu’il existe un médicament miracle ?
A. F. — Cela dépend des âges ! Je connais une petite fille de 8 ans qui a du mal à lever le nez des aventures de Téa Stilton et des Kinra Girls. Ainsi qu’une adolescente de 15 ans devenue récemment accro aux romans de John Green, après avoir vu au cinéma Nos étoiles contraires. À un adolescent, outre C. S. Lewis, J. K. Rowling et Suzanne Collins, on peut toujours essayer de faire lire J. D. Salinger. Ou Frankie Addams de Carson McCullers et L’Ami retrouvé de Fred Uhlman. Enfin pour commencer !

P. — Évidemment, ce livre est une invitation à lire, à relire, à lire différemment. Ne craignez-vous pas qu’il déclenche une obésité littéraire ?
A. F. — Je crains hélas que cela ne soit le cas chez les plus curieux des lecteurs, qui vont avoir une furieuse envie de découvrir les ouvrages qu’ils ne connaissent pas encore. Mais soyons tranquilles, les romans, même les plus gros, n’ont pas les calories que renferment les hamburgers.

P. — Vous rappelez-vous du premier livre qui vous a fait contracter cette maladie de la littérature ?
A. F. — Il y a d’abord eu Hergé et les albums de Tintin ! De la grande littérature à mes yeux. Agatha Christie m’a ensuite aidé à ne pas m’ennuyer l’été. Mais tout a vraiment basculé quand j’ai eu entre les mains Quartier perdu de Patrick Modiano. Dans la foulée, j’ai dévoré tous ses précédents romans, disponibles en Folio, avec les couvertures de Pierre Le Tan. Modiano, on n’en guérit jamais. Ce qui est bon signe.

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