Littérature étrangère

Ian McEwan

Leçons

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Chronique de Quentin Franchi

Librairie La Comédie humaine (Avignon)

Trois ans que nous attendions avec impatience le nouveau roman d’Ian McEwan. Il nous revient avec un chef-d’œuvre littéraire, dans l’excellente traduction de France Camus-Pichon et publié aux éditions Gallimard qui fêtent, avec ce quatorzième roman, leur trentième année de collaboration !

Il est un des auteurs dont on ne questionnera jamais la qualité de l’œuvre. Mais si on s’amuse à la classer par ordre de préférence, ce roman arrive en tête tant il est abouti. Pour rappel, Ian McEwan est l’auteur qui mêle à la perfection les codes du thriller et du roman psychologique ; les thèmes abordés sont très souvent ceux de l’enfance, de la manipulation, de la violence psychologique, du sexe aussi. Règne dans son œuvre une tonalité malaisante qui vient systématiquement interroger notre propre rapport aux thèmes évoqués. C’est aussi, ne l’oublions pas, un auteur britannique qui n’a pas son pareil pour aborder le sordide avec un humour ravageur, une sauce typiquement anglaise dont on se ressert volontiers. Dans ce dernier roman, on découvre Roland Baines, aspirant poète qui vient d’avoir un enfant avec sa compagne. Tout semble parfait jusqu’au départ de cette dernière : cette vie ne lui va plus, elle a besoin de se réaliser, loin de cette vie qu’il lui offre. Qu’est-ce qui a pu mener à cet échec sans qu’il s’en aperçoive ? Cette totale remise en question va le pousser à remonter le fil du passé, essayer de trouver des raisons à cette vie apparemment ratée. Au milieu des violences qu’il a pu subir, des traumas et des souvenirs enfouis, l’auteur se met en tête de trouver dans le passé de son personnage Roland sa raison d’exister et l’élément qui lui confirmerait qu’il a eu une belle vie. Et c’est à travers cette quête, ô combien philosophique et complexe, qu’il nous raconte aussi toute l’histoire de l’Europe du XXe siècle, de la Seconde Guerre mondiale à la chute du mur de Berlin en passant par la catastrophe de Tchernobyl, et surtout la manière dont ces événements ont pu changer le cours de nos individualités. Comment juger et jauger nos dysfonctionnements internes lorsque c’est le monde entier qui dysfonctionne de manière de plus en plus anxiogène ? Comment revenir sur les affres du passé sans y apporter le contexte ? Est-ce pardonner que de contextualiser ? C’est un grand roman ambitieux, au souffle romanesque incomparable. Ce pitch serait cependant presque mensonger si on omettait de préciser que ce roman est le plus autobiographique de l’auteur et c’est là que se situe tout le poids de cette œuvre qui nous ferait presque croire à un chant du cygne. Déchirante de grandeur, cette leçon de vie tout en humilité est aussi une très belle leçon de littérature, tant ce nouveau roman n’est que subtilité et profondeur.