Littérature étrangère

Paolo Milone

L'Art de lier les êtres

illustration

Chronique de Marguerite Martin

Librairie Terre des livres (Lyon)

« En psychiatrie d’urgence, ce qui doit être accepté dans son intégralité, c’est la personne, non la maladie. » L’art de lier les êtres, au réel et à eux-mêmes, est insaisissable. Découvrons-le à travers le quotidien d’un psychiatre de Gênes dont la lucidité et l’humour peinent à masquer son hyper empathie et sa mélancolie douce.

Au gré de saynètes désopilantes, l’atmosphère douce-amère du service d’urgences psychiatriques de Gênes se révèle à nous. Le regard acéré d’un psychiatre praticien fictif, inspiré par l’auteur lui-même, devient fragments à la Carver et strophes poétiques : ce n’est ni un essai, ni un roman. Pas non plus un plaidoyer pour la préservation d’une psychiatrie à l’ancienne, ni une compilation des sentiments et expériences d’un praticien. C’est une œuvre éminemment vivante où le soignant et le soigné ne sont plus isolés l’un de l’autre par ce « mal » (la souffrance psychique) que l’un devrait soigner et s’en préserver. Ici, ces humains fragiles, faillibles, mortels sont exposés ensemble aux mêmes maux. Le mystère de la maladie mentale se mêle au quotidien de celles et ceux qui, en dehors du service, doivent aussi penser à acheter le pain. Lucrezia, 20 ans, ne pense qu’à continuer à se couper avec des lames de rasoir. Carmelo, lui, est prêt à tout pour trouver sa dose. Chiara est si belle dans sa fragilité que lecteur et narrateur en tomberaient amoureux. Marcello, jeune et (trop) fringant psychiatre semble si naïf. Et les répliques comico-réalistes de l’épouse Anna rythment le récit haletant d’un psychiatre trop humaniste. La mort au bout du suicide, obsédante et omniprésente, guette et veille les vivants. C’est dans le décor superbe de la ville de Gênes et ses « creuza » (ruelle typique du territoire génois) que cette bruissante galerie de personnages évolue. Dans ce texte insolite qui dissèque le vertige de ressentir la douleur des autres (lorsque l’on se doit d’y remédier et que l’on sait que les mots peuvent si peu), on vibre à chaque page de peur, de tendresse, d’agacement ou de compassion. Un ouvrage provoquant, drôle et chaleureux dont la prouesse consiste à évoquer les névroses sans tomber dans le politiquement correct.