Littérature française

Maylis de Kerangal

Jour de ressac

SH

✒ Stéphanie Hanet

(Librairie Coiffard, Nantes)

Le téléphone sonne. La narratrice vient de rentrer chez elle. Elle se fige, vide son sac, trouve son portable, le saisit, voit l’indicatif 02 s’afficher : c’est un appel de l’Ouest, elle décroche. C’est la police. Elle s’assoit et apprend qu’elle est convoquée au commissariat du Havre le lendemain.

C’est ainsi que commence Jour de ressac, à la fois dans une urgence et une sidération. Un homme non identifié a été retrouvé sur la voie publique. Il est mort et l’unique indice que la police a découvert pour l’aider dans son enquête, c’est un numéro de téléphone griffonné au dos d’un ticket d’entrée de cinéma. Le numéro de notre narratrice. Cette affaire la concerne, lui fait comprendre l’officier de police judiciaire. Laissant Blaise, son compagnon, et Maïa, sa fille de bientôt 20 ans, elle prend donc le train en direction du Havre. Cette ville, elle la connaît, elle y a grandi. Mille pensées la traversent. « Le corps d’un homme retrouvé sur la voie publique », lui a-t-on dit. Serait-ce un fantôme venu lui délivrer un message ? A-t-elle connu cet homme ? Cette hypothèse lui paraît vertigineuse. C’est toute la ville qui l’envahit alors, c’est la vague qui la frappe, qui l’emporte, ce sont les souvenirs qui remontent et prennent la forme de la ville. Le Havre est un lieu gris et bétonné, une ville rasée qui a dû se réinventer. De cette table rase, de cette cité marquée, Maylis de Kerangal fait surgir, avec toujours autant de pudeur, une lame de fond qui nous entraîne dans un passé, une cartographie. Cette histoire en rejoint d’autres, avec le vent dans le dos et l’horizon marin au large. Des histoires d’adolescentes en Perfecto, de jeunes femmes en fuite portées par l’espoir d’une vie meilleure, d’un amour de jeunesse, de bombardements, de disparitions. Le rapport au temps s’étire pour laisser s’installer une temporalité et une géographie de l’intime propre à Maylis de Kerangal. L’errance se structure grâce à la mémoire. Et le lecteur, happé, se réfugie avec délectation aux côtés de la narratrice dans le Bar des Sirènes, ce « bar de gens de bateaux, de types en veste de mer et de filles sans maquillage ».

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