Littérature étrangère

John Boyne

Il n'est pire aveugle

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photo libraire

Chronique de Muriel Balay

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Une fois encore, John Boyne accomplit un magnifique exercice de portraitiste. Il nous livre un prêtre ancré sur un chemin de vie au service du bien. Un homme coupable de ne pas avoir compris, de ne pas avoir vu.

Irlande, les années 1970, le jeune Odran arrive au séminaire. Il s'y sent à sa place et suit un parcours impliqué et dévot. Son compagnon de chambre et ami est un jeune homme torturé pour qui la foi n'a rien d'une évidence. C'est un roman brillant à plus d'un titre. Sa construction décousue se promène dans la vie de ce prêtre de 1964 à 2011. Les événements qui ont jalonné son existence nous parviennent par touches. Le lecteur a alors la sensation de découvrir avec lui les situations et les signes qu'il n'a pas su ou voulu interpréter. Le début du XXIe siècle met à mal la toute-puissance de l'Église et un voile est levé sur un scandale étouffé depuis des années. Odran évolue entre la fierté que lui procure son habit d'homme de Dieu et les crachats que lui vaut désormais celui-ci. Sur son sillage, le mot «°pédophile°» est sifflé entre les dents ou crié ouvertement. Le thème majeur du roman, celui vers lequel la lecture nous entraîne au gré de divers indices et de sensations diffuses, est subtilement amené. Il est aussi caché que l'était ce secret scandaleux durant des décennies. Ce roman trouvera un écho particulier en chaque lecteur car il va effleurer des sentiments troubles et parfois honteux. Que dit ce texte de l'humain ? Que dit-il de nous tous confrontés aux diverses frustrations et aux petites ou grandes lâchetés ? Ces jeunes hommes envoyés au séminaire sans en avoir fait réellement le choix sont dépossédés de leur vie d'homme de chair. Superbe personnage du père abject et brisé dans ses rêves d'une autre vie. Odran devra aussi lutter contre des sentiments impropres à sa fonction à l'abri de sa bibliothèque. Qu'est-ce qui conduit à cet aveuglement qui jalonne la vie du prêtre lui conférant une tranquillité ? Quelle redoutable problématique que tous ces moments où nous avons détourné les yeux !