Littérature étrangère

Sara Freeman

Marées

  • Sara Freeman
    Traduit de l'anglais (États-Unis) par Laurence Kiéfé
    Bouquins
    05/01/2023
    320 p., 21.90 €
  • Chronique de Cyrille Falisse
    Librairie Papiers collés (Draguignan)
  • Lu & conseillé par
    10 libraire(s)
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Chronique de Cyrille Falisse

Librairie Papiers collés (Draguignan)

Tant de grâce relève du prodige. Au fil d’un récit à la construction en ellipses, l’auteure parvient à écrire l’indicible avec une élégance folle. La mélancolie diffuse du texte le rend terriblement émouvant.

Elle a tout quitté pour un ailleurs qui ne la jugera pas, qui ignorera ce qu’elle a fui et pourquoi elle l’a fait. Vierge d’a priori, la peau nue sans aspérité pour s’oublier au gré du mouvement de l’eau et de l’attraction des corps, elle laisse glisser sur elle ce qui voudrait s’y accrocher. Elle s’installe dans une auberge en face de la mer. Horizon bleu et gris, plafond de nuages bas. Elle s’évade de la cage mentale où elle s’est isolée en scrutant cette ligne plate qui se perd au loin dans le précipice qu’on devine. Pourtant le texte ne s’enferme dans aucune douleur qui aurait pu être sienne. Cette femme cherche une lumière. Elle vit son deuil avec une pudeur, une distance qui empêche le lecteur d’être dans une position voyeuriste. Au-delà de la force du propos et de son traitement tout en finesse, Marées est un bijou de construction littéraire. De courts paragraphes s’enchaînent dans la plus grande harmonie pour décrire des fulgurances d’esprit qui deviennent état, pour former un corps de mots puis de chair. Chaque phrase est composée avec l’énergie d’une pensée qui viendrait de s’échapper d’un cerveau clairvoyant, courageux et brillant. Et chaque mot prend forme dans un corps sensuel, délié, qui cherche dans la rencontre une échappatoire. Sara Free man excelle dans son premier roman à décrire un état psychologique à force d’allusions, d’indices. Rien n’est frontal : petites touches et impressions composent une peinture à la palette claire où le regard est toujours surpris entre deux éclats ou deux reflets d’émotions. C’est un grand texte qui ne se dit pas mais qui s’offre à qui veut lire entre les lignes, prendre le temps de l’écouter car il y a dans ces paragraphes courts et percutants une musique, un concerto mené par une soliste virtuose.