Littérature étrangère

Franzobel

Toute une expédition

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Chronique de Cyrille Falisse

Librairie Papiers collés (Draguignan)

Franzobel, auteur du désopilant À ce point de folie (Flammarion et J’ai Lu) sur l’histoire du Radeau de la méduse, récidive avec une nouvelle fresque historique goguenarde centrée cette fois sur la colonisation du continent nord-américain au XVIe siècle par l’Espagne et son Don Quichotte Ferdinand Desoto.

Alors qu’il souhaite se faire confier un gouvernorat dans le Nouveau Monde, Ferdinand Desoto (inspiré du conquistador Hernando De Soto), qui s’enorgueillit d’avoir assujetti l’Amérique centrale et le Pérou, est envoyé en 1538, par le flatulent Charles Quint, alors assis sur le plus beau trône du monde, débroussailler l’infranchissable Floride. En effet, l’Empereur du plus vaste territoire jamais conquis, de Vienne à Lima, se moque bien de savoir que d’illustres prédécesseurs se sont cassé les dents sur ce territoire où les alligators et les tribus indigènes cannibales pullulent comme fièvre et dysenterie. Desoto ira là où l’Empereur lui dira d’aller. Le grand conquistador annonce, tête basse, la nouvelle à son épouse Isabella, la psychorigide sœur de Maria, celle qu’il aimait naguère, mais dont on lui a refusé la main, et se hâte, sous les quolibets de sa moitié, de constituer une armée de pied nickelés afin de découvrir l’Eldorado promis. Mais d’or évidemment il ne trouvera pas, pas plus de perles, cachées parfois sous ses pieds, trop occupé à brûler les temples qui les abritent. Sous couvert d’une évangélisation des Indiens d’Amérique, Desoto et ses hommes tuent, violent et détruisent, réduisent en esclavage les survivants quand ils ne lancent pas sur eux leurs dogues des Canaries pour les mettre en charpie. Comprenez, ce sont des sauvages dépourvus d’âmes. Leur mort ne compte pas et leur vie non plus d’ailleurs. Dans sa fable historique relevée et épicée, Franzobel, jouisseur du verbe chatoyant et de la satire acide, ne s’interdit rien et surtout aucun saut temporel (les trouffions de la grande armée espagnole sont comparés à des acteurs de cinéma américains, le lecteur s’identifiera sans doute plus à Paul Newman et Robert Redford qu’aux voleurs édentés Bastardo et Cinquecento), pas plus qu’il ne lésine sur les détails : les conquêtes sont sanglantes ou ne sont pas. Au cœur du récit historique, la question contemporaine de réparation des peuples amérindiens, restitution des terres ou dédommagement tourne vite en eau de boudin, tout le monde s’en tamponne le coquillard, à moins que… Il faut être fou ou génie pour parvenir à maintenir un rythme d’écriture aussi soutenu dans la déraison. Toute une expédition provoque un plaisir rare de lecture, chaque page est plus perchée que la précédente, jardin des supplices et exploration des pires atrocités commises par l’homme sur un ton outrageusement drôle. Soulignons la virtuosité de la traduction d’Olivier Mannoni.