Ne vous méprenez pas, Entre mes mains n’est pas qu’un simple roman d’amour. Si Guinevere Glasfurd nous révèle une part méconnue de la vie de Descartes, c’est avant tout un formidable portrait de femme qui y est dressé. Helena est l’un de ces personnages que l’on quitte à regret, tant leur destinée vous a fasciné. Amsterdam, 1630. Helena est une jeune servante, dévouée à son maître, un libraire anglais. Si elle passe son temps libre à perfectionner son écriture et à enseigner humblement son savoir à son amie Betje, c’est que la jeune femme a en effet reçu une modeste instruction, qu’elle se plaît à enrichir et partager. L’arrivée de Descartes dans la pension de son maître bouleversera son existence… Au-delà de l’amour qu’ils se porteront, et ce, malgré les conventions sociales et religieuses de l’époque, cette relation va révéler le caractère et l’ambition d’Helena, la poussant de l’ombre vers la lumière. L’auteure signe un premier roman brillant et entêtant.
Guinevere Glasfurd, votre premier roman, Les Mots entre mes mains, paraît pendant la rentrée littéraire, événement culturel incontournable en France, que ressentez-vous ?
Guinevere Glasfurd — Je suis ravie. Être traduite et publiée à l’étranger est extrêmement gratifiant. Après le Brexit et l’immense désespoir qui m’habite au lendemain des résultats du Référendum, ce livre m’apparaît comme un petit défi, un poing levé en direction des eurosceptiques qui cherchent à réduire notre monde et à entraver nos libertés de façon si draconienne. Descartes a vécu la majeure partie de sa vie d’adulte aux Pays-Bas. C’était un migrant qui a reçu l’asile en Hollande, sur un continent ravagé par la guerre et l’intolérance religieuse. Il a pu y trouver un espace pour penser et travailler. Sans cela, où en serait le monde ? Les hommes se sont toujours déplacés, à travers les frontières et entre les pays. Que nos hommes politiques l’oublient est une tragédie.
Les Mots entre mes mains révèle l’histoire d’amour méconnue entre Helena, une jeune servante hollandaise et Descartes, le philosophe français. Comment avez-vous eu connaissance de cet incroyable lien ? Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur ce sujet ?
G. G. — Je voulais écrire sur Descartes, d’une façon ou d’une autre. Lorsque j’ai débuté mes recherches, je suis tombée sur une phrase qui mentionnait Helena. Ça m’a intriguée de ne rien savoir, ni d’elle, ni de sa relation avec Descartes. Plus mes recherches avançaient, plus il m’apparaissait clairement que de nombreux historiens avaient manqué de curiosité à son égard, son importance semblait avoir été négligée. Nous connaissons aujourd’hui Descartes comme le « père de la philosophie moderne », mais à l’époque il n’en était rien. Helena l’a rencontré à un moment décisif, avant qu’il ne devienne « important », avant qu’il ne publie, ce qui n’arriva qu’une dizaine d’années plus tard. Je me suis dit qu’il serait intéressant de voir Descartes à travers les yeux d’Helena. Même si ça n’était pas mon intention première, mon roman devint un moyen d’explorer l’invisibilité des femmes à travers l’Histoire – à l’époque et aujourd’hui. J’étais déterminée à raconter son histoire.
Les Français ont parfois une image austère du philosophe. Était-ce votre cas avant l’écriture de votre texte ? Cette image a-t-elle évolué pendant la rédaction ?
G. G. — Oui, absolument. Je me suis servie de la Correspondance de Descartes pour trouver sa voix et éviter les clichés existants. J’ai découvert un homme plein d’esprit, caustique, impatient, ambitieux. Un homme qui ne supportait pas les imbéciles. Mais j’ai aussi trouvé dans ses lettres de la douceur, des conseils à des amis, du chagrin. Les indices, bien qu’insuffisants, sont alléchants. Je suis convaincue qu’Helena comptait pour lui.
Helena, personnage central de votre roman, se révèle être une jeune femme moderne, quelque peu avant-gardiste et profondément humaniste. Comment avez-vous construit ce personnage ? Vous êtes-vous servie de la vérité historique pour nourrir votre vérité romanesque ?
G. G. — Helena est définitivement une femme de son époque, contrainte par son contexte historique. Néanmoins, je voulais montrer une femme face à Descartes, avec ses propres expériences, ses opinions, extrêmement sensible au monde, et ainsi donner à voir que son histoire vaut celle de Descartes. Même s’il peut paraître choquant de dire ça. Quasiment aucune archive ne mentionne Helena. Comme la plupart des femmes, sa vie n’a pas été consignée. Mais quelques faits sont connus, qui sont comme autant de pierres posées à l’édifice de mon histoire.
Outre la qualité indéniablement romanesque de votre livre, il nous faut également souligner sa qualité littéraire. Votre écriture est belle, ciselée, imagée et terriblement poétique. Comment travaillez-vous votre langue de romancière ? Avez-vous des inspirations ?
G. G. — Merci beaucoup ! Ce que je souhaitais, c’est que le lecteur soit embarqué dans l’histoire du point de vue d’Helena, comme s’il était derrière elle. L’art m’inspire beaucoup, et peut-être qu’à ma façon, c’est ce que je tentais d’accomplir en écrivant : quelque chose de visuel, une immersion dans le monde même d’Helena.