Littérature étrangère

J.M. Coetzee

Une enfance de Jésus

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photo libraire

Chronique de Renaud Junillon

Librairie Lucioles (Vienne)

J. M. Coetzee, prix Nobel de littérature en 2003, revient à la fiction avec un roman étrange, insaisissable et fascinant, où la parabole narrative multiplie les pistes d’interprétation sans jamais que l’une d’elles ne s’impose au détriment des autres.

Les lecteurs assidus savent que J. M. Coetzee est un artisan du verbe et qu’il expérimente un mode de narration différent à chaque ouvrage. À ce titre, Une enfance de Jésus peut être évoqué à travers le prisme du conte philosophique, de la relecture biblique, de la fiction kafkaïenne ou de l’univers beckettien : le roman débute en effet par l’arrivée d’un homme et d’un enfant, des immigrés venus par la mer – on ne sait pour quelles raisons – dans un pays inconnu. Pour s’intégrer, ils ont dû changer d’identité, laisser derrière eux noms et souvenirs et apprendre l’espagnol. Les voilà au centre d’accueil de Novilla où les services publics les aident à s’intégrer. Travail, logement, amitié : tout se passe pour le mieux grâce à la bonne volonté de tous. Mais bien vite, un sentiment de malaise assaille le lecteur, car derrière ce monde « parfait » se dessine un univers absurde où l’importance des racines, de la passion, de l’esprit critique est anéantie. Le lien particulier qui unit l’homme et l’enfant permet d’aborder la problématique des rapports homme/femme, de la maternité et de la paternité, du sens que l’on donne à la vie. Simon a recueilli le jeune David lors de la traversée et a juré de lui trouver une mère. Ce sera Inès. Inès dont l’amour surprotecteur et exclusif oblige Simon à endosser le rôle de père qu’il refuse pourtant. David se révèle un garçon au comportement étrange. « Si ce garçon était le seul d’entre nous avec des yeux pour voir ? Si les fous étaient en réalité sains d’esprit et si les sains d’esprit étaient en fait des fous ? », s’interroge Simon, convoquant le souvenir d’un autre pourfendeur de réalité, Don Quichotte, dont David lit et relit les aventures. Parmi les multiples pistes de lecture que distille J. M. Coetzee dans son récit, il y a celle, insistante, de la faculté sans pareille de la littérature à transcender l’homme en l’obligeant à s’interroger sans cesse.