Bande dessinée

Frederik Peeters

Aâma, t. 1

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photo libraire

Chronique de Renaud Junillon

Librairie Lucioles (Vienne)

Après la série Lupus , dont l’intégral sort cet automne, Frederik Peeters revient à la science-fiction avec une nouvelle saga qui nous entraîne à la poursuite d’une mystérieuse matière nommée « aâma ». L’errance et le voyage, le temps et la mémoire sont au cœur de ce récit, proche de l’univers humaniste d’un Ray Bradbury.

Cela commence avec une (re)naissance. Un homme baigné de larmes, couché au sommet d’un cratère, semble ouvrir les yeux pour la première fois. Il ne sait plus qui il est, n’a aucun souvenir, aucune idée, l’esprit aussi vide que ce monde aride aux accents moébiusien dans lequel il se découvre. Apparaît alors une curieuse créature dénommée Churchill, sorte de singe-robot (détail troublant, il est affublé d’une paire de jambes humaines) programmé pour la protection et l’investigation. Il est heureux de retrouver celui qu’il nomme Verloc. Face aux questions désespérées que lui posent Verloc l’amnésique, Churchill ne lui répond pas de manière directe, préférant lui mettre un livre entre les mains, un bon vieux livre papier dans cet univers ultra-technologique… Ce n’est pas n’importe quel livre, il s’agit du journal intime de Verloc, son carnet de bord. Pour découvrir son passé, pour savoir qui il est véritablement, ce qui l’a conduit sur cette planète désertique et ce qui s’y est déroulé, Verloc se lance dans la lecture de ce journal. Ainsi débute l’histoire dans l’histoire, à la manière qu’un flash-back. Si les pérégrinations d’un Lupus l’amenaient à affronter le présent et à comprendre le passé, notre nouveau héros devra quant à lui affronter le passé pour mieux comprendre le présent. Au lecteur d’être actif dans ce jeu de miroir (le lecteur est dans la même position que notre héros : il lui faut lire pour connaître l’histoire !), car un flash-back peut en cacher un autre. Ce jeu avec le temps et sa linéarité est l’une des réussites de l’album, qui n’est pas sans rappeler Château de sable , avec cette étrange plage où le temps distordu faisait vieillir les personnages dix fois plus vite que la normale. L’utilisation de l’ellipse et d’un découpage particulier où alternent plans larges et gros plans, crée un rythme spécial. Il permet à la fois aux « petites choses » de se révéler et d’apporter du sens, et aux moments d’action d’être d’autant plus percutants.

Aâma évoque à la fois Ray Bradbury pour la réflexion autour du quotidien de l’Homme dans un futur aliénant, et Stanislas Lem pour l’entité communicante que semble être la planète Ona-ji. Pour Frederik Peeters comme pour ces auteurs, le fantastique existe au cœur du quotidien. L’amour, la peur, la solitude, le temps qui passe en sont les véritables enjeux, bien loin des guerres manichéennes que l’on se livre dans les étoiles.