Littérature étrangère

Donald Ray Pollock

« Tous les Américains viennent de l’Ohio, même brièvement »

RJ

Entretien par Renaud Junillon

(Librairie Lucioles, Vienne)

Donald Ray Pollock a travaillé trente ans dans une usine de pâte à papier enveloppée de vapeurs toxiques. Pour tenir le coup, alcools et drogues en tout genres. Aujourd’hui, Donald Ray Pollock écrit sur ce qu’il connaît. Il rejoint William Faulkner, Larry Brown ou Harry Crews au sein de cette grande famille d’écrivains des coins paumés, des cœurs cabossés et des fêlures débordantes d’humanité.

PAGE : Le Diable, tout le temps est votre premier roman. Il se déroule dans un coin perdu de l’Ohio nommé Knockemstiff et fait suite à un recueil de nouvelles qui s’intitule également Knockemstiff (Buchet Chastel, 2010). Comment s’articule le lien entre vos deux ouvrages ? Qu’est-ce qui a permis, tant au niveau narratif que thématique, le passage à la forme romanesque ?

Donald Ray Pollock : Il y a plusieurs éléments qui peuvent établir un lien entre le recueil de nouvelles et le roman, le premier étant cette unité de lieu, ce petit bled de Knockemstiff, Ohio, même si la Virginie-Occidentale et la Floride sont aussi des lieux importants dans Le Diable, tout le temps. Les deux autres sont, à mon avis, le thème de la violence et le sentiment d’être prisonnier d’un lieu. Dans ces deux livres, les personnages appartiennent à la classe sociale des défavorisés, des prolétaires. C’est mon univers littéraire, pour le meilleur et pour le pire, et je sais que tout ce que j’écrirai se déroulera dans cette région. Pour ce qui est de la différence entre écrire des nouvelles et écrire un roman, je crois que cela tient à la gratification immédiate qu’offrent les premières. En six à huit semaines de travail, une nouvelle peut être aboutie, alors qu’un roman peut prendre une éternité avant d’offrir le même sentiment. Mais je dois admettre que le roman m’a apporté une bien plus grande satisfaction, peut-être parce que je n’étais pas certain de pouvoir écrire quelque chose de si long !

 

P. : L’alcool, le sexe et la religion semblent être la sainte trinité qui guide vos personnages. En quoi est-ce constitutif, pour vous, de la condition humaine ? Le combat entre le Bien et le Mal n’est-il pas perdu depuis longtemps, tant le Diable est présent tout le temps ?

D. R. P. : Je ne sais pas si l’alcool, le sexe et la religion sont représentatifs de la condition humaine, mais les personnages de mes livres les utilisent comme une espèce de baume ou une échappatoire à leurs existences déplorables. Je pense que c’est vrai partout, pas seulement dans le Sud de l’Ohio : nous cherchons tous ce qui peut faire que nous nous sentions mieux dans notre peau, dans notre vie. Et non, je ne crois pas franchement que le combat soit terminé entre le Bien et le Mal. Chaque individu, même né d’hier, doit mener sa propre lutte. Je conçois que, parfois, en lisant les journaux, on puisse avoir le sentiment que tout est foutu depuis un bon moment. Mais ce qu’il y a de bon chez l’être humain rayonne encore de temps à autre.

 

P. : L’ambiance est poisseuse, les rapports sont rudes, la tendresse, inconnue. Le seul moyen de s’en sortir, c’est de quitter Knockemstiff. Certains parlent de nouveau départ, d’autres de fuite. Mais c’est souvent pour mieux y revenir. Faut-il y voir une fatalité implacable ? Un déterminisme social ? Une rédemption impossible ?

D. R. P. : Les gens paraissent souvent penser que leur seule chance de bonheur, c’est de partir et de tout recommencer ailleurs, mais la plupart ne sont pas conscients du fait qu’ils déplacent du même coup leurs problèmes avec eux. Qu’importe l’endroit, il y a de fortes chances pour qu’ils continuent à être la même personne. Bien que je pense qu’il peut y avoir des exceptions, j’en ai eu la confirmation à plusieurs reprises. Mais je crois à la possibilité de la rédemption et je pense que mes livres le prouvent à leur manière, même si je dois admettre que ces moments de grâce sont parfois fugitifs.

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