Littérature étrangère

David Joy

Les deux visages du monde

✒ Élodie Bonnafoux

(Librairie Arcanes, Châteauroux)

S'il est une voix aujourd'hui incontournable quand on veut parler de roman noir américain, c'est bien celle de David Joy qui continue de mettre le projecteur sur les angles morts et les impensés de la société américaine.

La Caroline du Nord en plein été, dans une petite ville en apparence très paisible. Voilà pour le décor. Certes, une partie des blancs est clairement suprémaciste, voire membre du Ku Klux Klan, mais la plupart des habitants semblent vivre en harmonie et ce, quelle que soit leur couleur de peau. Mais quand une jeune artiste afro-américaine vient passer l'été chez sa grand-mère qui vit là, ce fragile vernis se craquelle brutalement : elle créé une œuvre éphémère très engagée sur le campus de l'université locale. Les esprits et la ville s'embrasent alors à une vitesse incontrôlable, obligeant chacun à se positionner. Et elle ne s'arrête pas là, créant une seconde œuvre sur une statue de soldat confédéré. Ajoutez à ce contexte hautement inflammable un homme blanc qui débarque mystérieusement en ville avec, sur lui, la liste de tous les dignitaires locaux membres du KKK. Mélangez et vous obtenez un bon roman noir qui interroge sans ronds de jambes les non-dits raciaux qui continuent encore aujourd'hui d'irriguer les mentalités outre-Atlantique. Il s'agit par exemple de comprendre ce que signifie le drapeau confédéré pour ceux qui le brandissent. Mais il s'agit surtout de décortiquer les préjugés et les comportements racistes que les blancs ont intériorisés, même les mieux disposés à l'égard des noirs. Et de comprendre à quel point il est difficile pour eux de s'y confronter, au point d'ailleurs que certains vont s'avérer prêts à tuer pour ne pas avoir à regarder cette réalité en face. Au passage, ce roman propose aussi une belle réflexion sur la place et la fonction de l'art dans la société. Mais que ce dernier aspect ne vous fasse pas baisser la garde : comme toujours avec David Joy, ne soyez pas trop optimiste, la nature humaine est capable de très belles choses mais surtout du pire.

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