Littérature française

Mathieu Palain

L’heure de vérité

Entretien par Élodie Bonnafoux

(Librairie Arcanes, Châteauroux)

Mathieu Palain ajoute une nouvelle brique à son œuvre singulière par laquelle il interroge sans fard notre société et ses travers les plus tabous. Il fait ici sienne la voix de Jessie, madame Tout-le-monde qui n'en finit pas de ressentir les secousses et les conséquences d'une jeunesse malmenée.

Pouvez-vous nous parler de votre démarche d'écriture qui n'est pas à proprement parler une démarche de fiction ?

Mathieu Palain J'étais au début journaliste, à Libération puis à la Revue XXI, donc en écrivant des textes de plus en plus longs. Je lis beaucoup de littérature américaine parce que j'aime son rapport à la vérité, à la crédibilité des histoires. J'aime les livres très documentés et j'ai du mal à faire autrement parce que la réalité dépasse souvent la fiction et les personnages que je rencontre dans la vraie vie sont souvent beaucoup plus complexes et profonds que ceux que j'aurais pu inventer. Ici, il y a une histoire vraie qui nourrit un livre de fiction.

 

Comment avez-vous rencontré Jessie, le personnage principal de ce roman ?

M. P. C'est elle qui m'a contacté : j'avais fait un podcast qui s'appelait « Des hommes violents » et elle m'a envoyé un message énigmatique qui m'a donné envie d'en savoir plus. Elle m'a ensuite donné rendez-vous devant le collège où elle travaille. Il pleuvait et nous sommes partis en voiture sous des trombes d'eau. Après quelques minutes de silence, elle s'est mise à parler et moi à l'enregistrer. En réécoutant la bande, il m'a semblé que cette femme portait en elle quelque chose d'extraordinaire. Nous nous sommes revus toutes les semaines, pendant des mois, jusqu'au jour où elle m'a appelé en me disant que quelque chose de terrible venait d'arriver.

 

Sans tout dévoiler, quelle est cette histoire, son point de départ ?

M. P. Jessie, 43 ans, prof de maths, a un fils de 15 ans. L'année précédente, elle l'a pris dans sa classe pensant pouvoir le surveiller. Mais c'était une très mauvaise idée : Marco se foutait de sa gueule et leur relation s'est lentement désintégrée. Quand le livre démarre, il a disparu depuis trois jours. Il n'est sans doute pas loin mais il ne répond pas. Ce week-end-là, elle reçoit sa belle-famille, passe beaucoup de temps à s'en occuper mais son angoisse monte jusqu'au moment où, à une heure du matin, son fils l'appelle en lui disant : « Maman, viens me chercher. » C'est là que le livre commence vraiment. Elle laisse tout en plan et va le rejoindre. C'est un livre sur la relation qu'une mère peut avoir avec son fils et sur ce qu'on transmet malgré soi à ses enfants.

 

On comprend rapidement que Jessie a elle aussi été une victime. Était-il logique de parler des victimes après avoir parlé des agresseurs ?

M. P. C'est la rencontre avec Jessie qui m'a fait écrire ce livre, il n'y avait pas d'objectif initial. Le livre est venu après des mois à parler avec elle et à essayer de la comprendre. Ce qui est fascinant, c'est de prendre conscience que l'on est le produit de notre environnement, de l'histoire de nos parents et nous sommes nombreux à ignorer la vie qu'ils ont eue avant de nous concevoir. L'adolescence, c'est aussi se confronter au fait que nos parents ont eu une vie avant nous. J'avais cette envie de raconter ce qui peut pousser à vouloir renier les siens alors que leurs gènes coulent dans notre sang. Cette relation m'intéresse plus que le statut de victime dont on a déjà beaucoup parlé.

 

Avez-vous utilisé d'autres sources que le récit de cette femme pour construire ce roman ?

M. P. Les sources, il y en a énormément parce que le récit de Jessie nourrit d'autres questions et l'histoire qu'elle raconte remonte jusqu'aux années 1980. J'ai une volonté que tout soit vraisemblable même si tout n'est pas parfaitement vrai. Ça nécessite beaucoup de travail pour que tout sonne juste.

 

Pouvez-vous nous expliquer ce titre en forme de manifeste féministe ?

M. P. C'est Jessie qui parle, c'est une phrase qu'elle prononce. Elle le dit pour les hommes qu'elle a connus et peut-être aussi pour son fils, parce que la fuite est souvent l'option que choisissent les hommes pour affronter les problèmes de famille. Elle parle du courage qu'il faut aux femmes pour assumer un fils, un viol, de ce qu'un homme peut faire à la vie d'une femme. Je trouve que ce titre résume assez bien le livre et ce que Jessie pense.

 

La violence et la lâcheté des hommes, Jessie a commencé à la subir avant même d'être adulte. Elles l'imprègnent avec tant de force que toutes ses relations, y compris celle qu'elle entretient avec son fils, ne parviennent pas à tourner rond. Et forcément, son fils, Marco, ne tourne pas rond non plus, du haut de ses 15 ans bourrés de colère et d'incompréhension. Il va falloir un événement terrible pour que ces deux-là finissent par se parler, assis côte à côte dans une voiture dont ils ne pourront descendre qu'après s'être enfin tout dit. Mathieu Palain nous parle ici des traumatismes, de leurs innombrables conséquences, des secrets de famille bien mal enfouis et des silences assourdissants.

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