Jeunesse Dès 6 ans

Lucie Desaubliaux

Les bêtes sauvages grandissent la nuit

AM

✒ Aurélia Magalhaes

(Bibliothèque/Médiathèque Hélène Oudoux, Massy)

Ce soir, la lune est rousse et Alix quitte le confort de sa chambre pour devenir une bête sauvage. En elle, un trop-plein émotionnel qu’au lieu de domestiquer elle choisit de faire sien et qui l’entraîne dans une quête initiatique étrange à travers la forêt. Mue par cette force nouvelle, Alix s’en va à la rencontre d’elle-même.

Tout comme pour Perlin, publié l’an dernier, on ne sort pas indemne de la lecture de l’album Les bêtes sauvages grandissent la nuit. Ces deux titres percutants s’adressent à tous mais plus particulièrement aux lecteurs autonomes qu’on imagine à tort ne plus lire de livres illustrés. Alix décide un soir de quitter le confort de sa chambre pour rejoindre la forêt. Elle décide de devenir une bête sauvage. Son périple n’est pas facile. On sent en elle le conflit entre les souvenirs doux et les frustrations du quotidien. La forêt l’accueille et lui permet d’être au plus près de ses sensations. Bien sûr, la solitude, la fatigue et la faim sont là, mais la voilà soudain en capacité d’entrer en communion avec la nature, les animaux sauvages, jusqu’à en oublier le passage du temps. Mais pour devenir une bête sauvage, il lui reste un combat à mener. Alix est prête à en découdre. Alors qu’elle veut rivaliser de puissance avec le loup, le roi de la forêt lui refuse cette bataille car il sait que l’ennemi est intérieur. Alix doit se battre contre sa colère. Les bêtes sauvages grandissent la nuit est un album sur les émotions et plus précisément sur la colère. Alors qu’on la traite souvent comme un sentiment négatif à corriger, les autrices de ce livre choisissent de montrer aux lecteurs qu’on peut, à l’image d’Alix, choisir d’être à l’écoute de ses sensations et affronter la colère sans être détruit par elle : accepter la sauvagerie plutôt que de chercher à l’apprivoiser. La poésie de la langue et le recours à des néologismes rendent compte de l’étrangeté vécue par Alix. Ils aident le lecteur à entrer dans la forêt à sa suite. Le travail de Marine Schneider, qui alterne de très grandes peintures avec des vignettes au trait, réussit à montrer à la fois la petitesse d’Alix dans la nature immense mais aussi la détermination de ce personnage attachant. Son travail sur les couleurs est très original. L’ombre de la lune rousse, un orange présent à toutes les pages, contribue à renforcer l’ambiance fantastique de l’album. Les bêtes sauvages grandissent la nuit est un album important porté par une langue poétique et un travail d’illustration somptueux. Ce qui le rend si précieux, c’est qu’il ouvre pour ses lecteurs une porte rarement ouverte : celle d’une intériorité en désordre qu’il ne faut pas nécessairement domestiquer pour la comprendre, mais plutôt accepter pour ce qu’elle est et la faire sienne. Au terme de sa quête, Alix est la même et différente à la fois.

Les autres chroniques du libraire