Début décembre, pour fêter les 40 ans des éditions Métailié, nous arrivons à Édimbourg à la rencontre de quelques auteurs-phares de la collection « Bibliothèque écossaise ». Dans cette ville-musée tout éclairée pour fêter la fin d’année, nous sommes accompagnés de Jenni Fagan, Mick Kitson, John Burnside lors de notre premier dîner où le fameux fish and chips fera l’unanimité. Tous les trois se font un plaisir de nous raconter leur ville et leur histoire personnelle, sources principales de leurs romans. Le lendemain le train nous emmène à Glasgow, ville très différente d’Édimbourg où James Kelman nous accueille sous la pluie, autour d’un thé. Nous partons ensuite sous le soleil, à la découverte des rues de son ancien quartier (l’atelier de son grand-père, l’église, témoin des événements familiaux…). Le soir, nous dînons au pub avec Chris Brookmyre, auteur qui fera son entrée en avril au catalogue Policier-Métailié, et qui n’hésite pas à conseiller à certains d’entre nous de commander le gratin de macaronis avec frites ! À la mort de sa mère et de sa jeune sœur, Murdo, 17 ans, et son père Tom quittent Glasgow et l’Écosse pour passer des sortes de « vacances » chez tante Maureen et oncle John au sud des États-Unis. Les deux hommes sont totalement perdus après ce deuil, ils éprouvent la plus grande difficulté à communiquer. Tout juste arrivés sur le sol américain et après avoir manqué la correspondance entre deux bus longue distance, Murdo va croiser la route des membres du groupe Queen Monzee-ay et surtout éprouver l’intensité de la joie que leur procure la musique. Il ne se doute pas un instant que cette rencontre va bouleverser son séjour américain et l’aider à prendre son avenir en main. L’adolescent va néanmoins prendre conscience à ce moment-là de l’importance que revêtent, pour lui-même et son bien-être, la musique et surtout l’accordéon. Tout au long de son séjour, Murdo va être confronté à une vie sociale bien différente de celle qu’il a toujours connue. Bien que La Route de Lafayette se passe aux États-Unis, ses personnages sont terriblement écossais.
PAGE — Vous rappelez-vous pourquoi vous avez commencé à écrire et quand ?
James Kelman – Oui, très bien. J’ai commencé vers 22 ans. Avant, je pensais vraiment que j’allais devenir un artiste peintre jusqu’à ce que je prenne conscience que je passais plus de temps à lire qu’à peindre. J’ai lu jusqu’à saturation, notamment des nouvelles, mais également Kafka, Balzac, Zola, les auteurs russes, donc ceux qui me faisaient découvrir de nouvelles formes littéraires, de nouveaux thèmes. Et finalement, je me suis rendu compte que j’allais écrire. À cette époque, à Londres, j’étais au chômage et je faisais partie d’un groupe de garçons dont les préoccupations principales étaient de boire, parier et essayer de sortir avec une fille. Et puis, un jour, je suis allé dans une papeterie acheter des cahiers et des stylos. C’était parti !
P. — Vous donnez énormément d’importance aux femmes dans votre roman. Elles ont de forts caractères et vont bousculer la vie de Murdo. Était-ce volontaire de votre part ?
J. K. – Peut-être. Là encore parce que le côté « héritage culturel » vient du côté maternel. Par exemple, en ce qui me concerne, mon héritage paternel vient de ma grand-mère et non de mon père. Les hommes parlent rarement de leur histoire familiale, ce que l’on apprend, on le doit aux femmes de la famille. Les mères sont très importantes pour les fils, ce qui est mon cas comme vous pouvez vous en douter.
P. — Êtes-vous fier quand on vous dit que vous donnez voix aux gens ordinaires ?
J. K. – Ce n’était pas mon intention première, c’est juste ma façon de faire et d’écrire. La réalité est que je n’ai jamais gagné beaucoup d’argent, j’ai une vie ordinaire parmi les gens ordinaires. Au moment du Booker Prize, les auteurs me disaient que gagner ce prix allait être bénéfique pour moi. Ce ne fut pas du tout le cas voire même le contraire, au regard des hostilités et des attaques à l’encontre de mon travail, avant et après ce prix. Certains libraires sont allés jusqu’à refuser de commander mon livre pour montrer leur désapprobation !
P. — Vous avez quitté l’Écosse à peu près au même âge que Murdo. Vous êtes-vous inspiré de votre propre expérience d’adolescent pour inventer son personnage ?
J. K. – Bien évidemment, j’y ai beaucoup pensé. Moi aussi, adolescent, j’étais plein de rêves, je voulais devenir peintre tandis que Murdo rêve de musique. Si vous êtes allongé dans votre lit en écoutant la pluie tomber, votre imagination peut vous emmener très loin, n’importe où. C’est ce qui arrive à mon personnage.
P. — Vous avez écrit le scénario du film adapté de La Route de Lafayette. N’est-ce pas une première expérience pour vous ? Quelles différences avez-vous trouvées entre ces deux écritures ?
J. K. – Non, j’avais écrit plusieurs pièces de théâtre avant. En vérité, j’ai commencé le scénario il y a plusieurs années, bien avant le livre. Mais par expérience, je savais que le livre aurait plus de chance d’être connu et diffusé que le scénario dont j’ai continué l’écriture tout en écrivant le roman. Je savais qu’avec la fiction je pouvais aller là où je voulais, dans différents endroits, et surtout développer énormément de sujets. Au cinéma, vous avez beaucoup trop de contraintes liées la plupart du temps à des questions de budget et au nombre de personnes impliquées, tandis que pour un roman vous êtes le seul concerné !
P. — Sans rien dévoiler, je dirais que le roman se termine de façon très touchante. Je qualifierais même la fin de happy end, ce qui est totalement inhabituel chez vous ! Qu’en pensez-vous ?
J. K. – Vraiment, c’est la première fois ? Ah bon ! Je n’espère pas ! (NDLR : Un petit sourire en coin s’affiche sur le visage de James Kelman.) Pour moi, c’est une fin forte parce que c’est la vie future d’un adolescent qui est en jeu. Murdo a besoin de recevoir des marques de solidarité et de soutien, d’être dans un groupe de gens de son âge ayant les mêmes préoccupations que lui. J’ai dans l’idée que trois nouveaux romans, très différents les uns des autres, pourraient être écrits pour faire suite à cette fin.