Polar

Percival Everett

Châtiment

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Chronique de Alexandra Villon

Librairie La Madeleine (Lyon)

Pour son nouveau roman, l’inclassable Percival Everett utilise l’écrin d’un polar violent, mâtiné de burlesque, pour évoquer les nombreux lynchages survenus pendant la ségrégation raciale aux États-Unis. Une manière, via la littérature, de réveiller les consciences et d’interroger un avenir incertain.

La petite ville de Money dans l’État du Mississippi, peuplée en grande partie de rednecks bas du front, va être le théâtre d’une série de meurtres pour le moins répugnants : des hommes blancs sont retrouvés fraîchement assassinés, les testicules arrachés et déposés dans la main d’un homme noir allongé à leur côté, mort lui-aussi. Le problème, c’est que cet homme noir ne cesse de disparaître pour réapparaître mystérieusement sur d’autres scènes de crime en tous points similaires, les testicules des victimes toujours conservés dans sa main. C’en est trop pour la police locale, complètement dépassée, qui commence à évoquer fantômes et morts-vivants. Deux agents spéciaux du MBI (Mississippi Bureau of Investigation), Ed Morgan et Jim Davis, débarquent alors en renfort, bientôt rejoints par une agente du FBI, Herberta Hind. Voilà donc trois flics noirs lancés dans une enquête déconcertante au sein d’une ville exhalant des relents de Ku Klux Klan, qui tentent de trouver les coupables de ces crimes vengeurs prenant leur origine dans les nombreux lynchages qui ont eu lieu pendant la Ségrégation ; des crimes raciaux restés impunis et oubliés dans l’ombre d’une justice d’hommes blancs, en particulier le meurtre d’Emmett Till, jeune homme noir injustement lynché en 1955 dans la même petite ville. À partir de là, le roman change de genre et de ton pour devenir militant, l’importance du devoir de mémoire se mêlant à une indicible crainte pour le futur d’un pays capable d’élire à sa présidence un suprémaciste blanc arriéré. Car si la vengeance dans Châtiment est réparatrice, elle s’affirme également comme le moyen d’anticiper un futur dont on aurait tort de ne pas se méfier. À la noirceur de son texte, Percival Everett ajoute beaucoup d’humour et une bonne dose de suspense, faisant le va-et-vient entre drame et comédie. Il nous offre un récit hors normes, protéiforme et féroce où la justice punitive, même si elle est brutale, n’en est pas moins terriblement jouissive. Dans la continuité de la chanson Strange Fruit qui résonnait à chaque fin de concert de Billie Holiday comme un amer sanglot, Châtiment raconte un combat cruel et une inquiétude grandissante pour le futur d’un pays où les violences et les discriminations raciales ne cessent de croître, au sein d’une Amérique divisée et fragilisée qui semble malheureusement avoir la mémoire courte.

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