Beaux livres

Guillaume Piketty , Vladimir Trouplin

Les Compagnons de l’aube

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photo libraire

Chronique de Raphaël Rouillé

Bibliothèque/Médiathèque de Saint-Christol-lez-Alès (Saint-Christol-lez-Alès)

Ordre unique créé à Brazzaville le 16 novembre 1940 par le général de Gaulle, l’Ordre de la Libération et sa célèbre Croix de Libération a constitué une véritable « chevalerie de la liberté ». Ce livre relate les parcours de plusieurs compagnons de la liberté, au plus près des valeurs qu’ils ont défendues pour la libération de la France.

Comparable aux ordres des moines-soldats, tel celui des Templiers, expliquent Guillaume Piketty et Vladimir Trouplin, l’Ordre de la Libération avait été créé avec un objectif et devait disparaître une fois celui-ci atteint. Mal compris par certains combattants au moment de l’annonce de sa création, en plein conflit, il est très vite devenu une distinction majeure au caractère exceptionnel, avec comme devise : Patriam servando victoriam tulit (« En servant la patrie, il a apporté la victoire »). Aujourd’hui encore, ce retentissement demeure intact et ce livre hommage retrace quelques itinéraires de compagnons, en même temps qu’il incarne les valeurs défendues tout au long de la guerre – courage, fraternité et honneur –, qui forment le ciment de ces quatre-vingts destins d’exception. Évoquant d’abord les nombreux ralliements, depuis la métropole aussi bien que depuis l’Empire ou l’étranger, les auteurs insistent sur les trajectoires étonnantes et mouvementées des combattants, leur intimité parfois, ainsi que leur dévouement, cette force qui les a poussés à tout risquer pour les autres, pour la nation, parfois jusqu’au sacrifice. Sur les 1036 compagnons de la Libération nommés avant le 23 janvier 1946, 270 l’ont été à titre posthume, et cinquante sont tombés avant la fin de la guerre. Soit 320 compagnons qui n’ont pas survécu au conflit. Blessés gravement pour beaucoup, il leur est arrivé de connaître des douleurs infinies, qu’elles soient physiques, psychologiques ou morales. Sous les balles ennemies ou sous les coups de la répression, torturés, déportés, ils ont résisté, parfois au prix de leur vie. Berty Albrecht, militante des droits de l’homme et de l’émancipation féminine, pionnière de la Résistance, a succombé en 1943. Jacques Bingen, rallié à la France libre en juillet 1940, dirigeant de la marine marchande jusqu’en 1942, se suicide en 1944 pour ne pas risquer de parler une fois arrêté. Même chose pour Pierre Brossolette ou François Delimal. Henri Fertet, ce jeune lycéen entré dans la Résistance armée à 15 ans, est fusillé à 16 ans et laisse une dernière lettre, ô combien émouvante et pleine de maturité. Au fil des parcours évoqués, c’est la diversité des destins qui saute aux yeux, sans hiérarchie. Car si le dernier chapitre du livre rappelle que l’Ordre de la Libération compte dans ses rangs trois chefs d’État, trois prix Nobel, six Premiers ministres ou présidents du Conseil français ou étrangers, des sénateurs, députés, professeurs au Collège de France ou Académiciens français, c’est toujours pour insister sur la diversité des « compagnons de l’aube », ceux qui ont pris la décision précoce et sans retour de défendre une patrie, une idée, la France. Richement illustré de photographies, d’affiches d’époque, d’objets, de correspondances et de quantité d’archives inédites, le livre de Guillaume Piketty et Vladimir Trouplin représente un travail remarquable, au creux duquel se côtoient femmes et hommes, connus ou anonymes, civils ou militaires, parfois engagés discrètement ou clandestins. De multiples trajectoires singulières qui ont dit non au nazisme et à la capitulation.

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