Essais

Japon : éternité rêvée

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✒ Raphaël Rouillé

(Bibliothèque/Médiathèque de Saint-Christol-lez-Alès Saint-Christol-lez-Alès)

Toute personne qui s’est rendue un jour au Japon garde en elle un souvenir éternel, des images gravées et la drôle d’impression que le temps s’est arrêté. Dès lors, tout nous ramène au Japon, sensiblement, mystérieusement. Plusieurs ouvrages nous convoquent à ce voyage dans le temps, pas toujours si réel.

Le Japon vous change. Il exerce sur vous un pouvoir invisible, vous exhorte à rentrer en vous-même, vous traverse comme le sabre d’un samouraï et vous submerge parfois. « Les heures passent comme dans un rêve », écrit Amélie Nothomb dans L’Impossible Retour. Lorsque l’écrivaine sieste avec ses deux amies au parc Sans Nom, elle songe à l’harmonie profonde, à ce « lieu absolu » que représente le Japon à ses yeux. Pep Beni, sa complice photographe à l’initiative de ce voyage, indique que, de retour à Paris, elle ne sera plus la même, transformée par ce voyage, peut-être habitée par la « force inconnue de cette terre ». Le pouvoir et la beauté des lieux transformeraient-ils leurs visiteurs ou bien ne serait-ce qu’un songe, une illusion vite perdue, un voile trompeur sur la réalité ?

Pour comprendre ce qui a forgé ce territoire et accepter ce qui nous fascine, il faut d’abord visiter la beauté du Japon, née parfois du chaos et de la destruction. Osaka est l’une des villes japonaises qui a été le plus détruite durant la Seconde Guerre mondiale. Pilonnée par les bombardements américains, la ville s’est retrouvée en ruines mais n’a pas oublié ce qu’elle fut il y a un siècle et demi. Dans Cent vues de Naniwa, Christophe Marquet revient sur la prospérité artistique de la ville à travers un livre somptueux dont les illustrations sont issues de la collection Jacques Doucet. Les estampes présentées nous rappellent la mémoire des lieux et mettent en valeur les atouts de la ville. Seulement reproduite en 1976, cette série de gravures est exceptionnelle et elle est due à un trio de jeunes imagiers de l’école Utagawa : nous plongeons littéralement dans les souvenirs des paysages. Cent estampes pour admirer les sites religieux, le cadre urbain ou les scènes bucoliques et maritimes. Une immersion dans le Japon d’avant la guerre et un ouvrage d’une qualité iconographique rare, aux couleurs remarquables.

Ce monde a existé, il a été détruit. Mais le Japon possède une forte capacité de résilience. Puisant dans la nature une énergie et une harmonie uniques, la culture japonaise attise notre sensibilité et notre émerveillement. C’est un peu ce que constate Sandrine Bailly dans Japon, un voyage sensible. À travers son approche personnelle du Japon, découpée en chapitres évocateurs et poétiques (« Le bruissement du monde », « La compagnie des choses »…), l’auteure nous initie au jūgen, c’est-à-dire « la beauté qui naît de la contemplation de l’éphémère, du surgissement de ce qui reste habituellement tapi dans l’ombre ou de ce qui est voué à disparaître ». Xylogravures, couvertures de romans, livres illustrés, dessins, photographies, encres et peintures sur soie : de nombreuses illustrations ornent cet itinéraire qui laisse apparaître un « lien profond » entre toute chose en ce monde. Délicatesse, beauté suggérée, rapport entre l’homme et son environnement : plusieurs tableaux se déploient et nous interrogent sur le Japon éternel, sa puissance, ses pouvoirs et ses mystères, ce qu’il nous dit et ce qu’il nous cache encore, peut-être. Un livre comme une manière d’ouvrir notre imagination et d’embrasser le monde. Un livre comme une belle rencontre dont on redouterait qu’elle se termine. Textes et images se répondent dans un dialogue patient et inépuisable qui nous touche, inexorablement.

Lorsque nous visitons le Japon, que nous le traversons, il est extérieur à nous. Or, sa grande force est peut-être sa capacité à coloniser notre monde intérieur, sa faciliter à déployer en nous un imaginaire infiniment peuplé, coloré, vivace. Amélie Nothomb n’a pas pu vivre au Japon mais le Japon est en elle et le pays du Soleil-Levant a su lui ouvrir des voies. « Ma mythologie personnelle, c’est le Japon », écrit-elle en avant-propos du livre d’entretiens réalisé avec Laureline Amanieux, adapté d’une série de podcasts. Avec Le Japon éternel, les deux écrivaines abordent l’influence de la culture japonaise mais aussi ses sources d’inspiration et d’accomplissement. Comme le ferait un alpiniste, Amélie Nothomb ouvre des voies : celles des kami, du bouddhisme, des guerriers et de l’élégance. Chaque chapitre indique, en filigrane, comment le Japon parvient à nourrir notre quête de sens à un moment où le monde ne nous en propose plus tellement. Au pays des esprits divins, de l’accueil du temps présent, de l’éternel et de l’éphémère, des yôkai et des Belles endormies, que conservons-nous ? Qu’avons-nous perdu que nous souhaiterions retrouver ?