Essais

L’espoir des Révolutions arabes

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RR

✒ Raphaël Rouillé

(Bibliothèque/Médiathèque de Saint-Christol-lez-Alès Saint-Christol-lez-Alès)

Plus rien ne sera comme avant : poussée par un désir de dignité, de liberté 
et de justice, la population tunisienne, soulevée par une jeunesse vigoureuse, semble vouloir prendre son destin en main. Par une posture éthique 
et morale, la protestation tunisienne rejette sans concessions l’autoritarisme, la corruption et l’illégitimité, montrant ainsi la voie à d’autres peuples arabes, prêts eux aussi à ébranler le pouvoir 
en place.

Pour comprendre ce qui se joue dans les pays arabes, il faut revenir aux prémices, au monde d’avant, celui qui précède l’acte inouï de Mohamed Bouazizi s’immolant par le feu dans la petite ville de Sidi Bouzid un jour de décembre 2010. Ce jour-là, la Tunisie de Ben Ali vacille. L’allumette craquée par le vendeur ambulant de 28 ans embrase à la fois cet homme qui a décidé d’en finir et une population qui bascule dans une insurrection que l’on appellera bientôt la « Révolution du jasmin ».

Le journaliste Pierre Puchot, correspondant en Tunisie pour Médiapart, enquête sur la Tunisie depuis plusieurs années, de l’intérieur, rédigeant des articles dès 2008 pour son journal en ligne, journal interdit d’accès en Tunisie seulement quelques semaines après son lancement. Son travail se trouve aujourd’hui rassemblé par les éditions Galaade sous le titre Tunisie, une révolution arabe. On y découvre les reportages, enquêtes et analyses du journaliste qui font état de l’hypocrisie de nos élites dirigeantes, de leur manque d’audace et de courage, mais aussi de la situation tendue, comme un grondement sourd de mécontentement et d’exaspération générale, qui jaillira finalement de manière très inattendue. Pourtant, dès 2008, les populations du bassin minier de Gafsa se sont soulevées, mais les manifestants les plus actifs ont été arrêtés et torturés de la manière la plus sauvage. Les médias français n’en ont que très peu parlé, probablement en raison du soutien dont bénéficiait Ben Ali dans les plus hautes sphères du pouvoir, lui qui se présentait comme un rempart contre l’intégrisme et le terrorisme. Pendant six mois, sit-in et rassemblements se sont multipliés dans plusieurs villes de Tunisie, comme le signe d’une lutte qui s’organisait déjà. Pierre Puchot relate de manière chronologique différents événements, différentes observations. Avec lucidité, il explique la mafia au pouvoir, la désinformation constante et insiste sur le fait qu’on ne pouvait pas dire, nous, Occidentaux, qu’on ne savait pas, puisque dès la fin des années 1990, Reporters sans frontières, Amnesty international et d’autres organisations « avaient rangé la Tunisie au rayon des pires dictatures de la planète ». En 2009 paraissait un ouvrage dans lequel Moncef Marzouki réfléchissait aux voies démocratiques possibles pour le monde arabe et le renversement de dictatures selon lui en sursis. C’est désormais la fin du silence, mais à quel prix ! Ce livre relate la genèse de la révolution tunisienne et explique, par exemple, comment l’opposition est parvenue à survivre à la répression orchestrée par le régime de Ben Ali ou quel rôle ont joué les nouveaux médias. Facebook, Twitter, Flickr, Internet : au cœur des révolutions arabes se trouve l’accès à l’information. Lina Ben Mhenni, la Tunisian Girl, blogueuse, cyberactiviste et électron libre, l’a vite compris. Dans le petit livre qu’elle publie aux éditions Indigène, elle revient sur la puissance des réseaux sociaux face à la censure. « Tous les Tunisiens ont été des activistes de la révolution, personne n’était leader, mais tous l’étaient, l’ont été à leur manière », écrit-elle. Son livre témoigne du rôle moteur des jeunes générations attachées au virtuel tout en agissant activement sur la réalité, sans violence ni censure, dans un même élan collectif et non sous la bannière d’un leader. Elle revient également sur le rôle de son blog, qui rythmait sa vie, et sur l’internationalisation de son combat mis en difficulté par des cyberpirates. « La toile est un instrument rêvé pour la démocratie directe, citoyenne », s’exclame-t-elle. Militante de la liberté d’accès à une information non filtrée, non maquillée par les pouvoirs, Lina Ben Mhenni redonne un espoir à tous ceux qui se croyaient inutiles et impuissants face à une dictature jugée trop souvent inébranlable. 


Dans son livre intitulé L’Étincelle, Tahar Ben Jelloun évoque également ce mouvement spontané de la jeunesse, non soumise à un chef de parti et encore moins à un mouvement religieux. Pour l’écrivain, la grande victoire de ce printemps arabe vient de sa maturité : « une révolution naturelle, à l’image d’un fruit qui a tant mûri qu’il est tombé tout seul, un jour d’hiver, et qui, en tombant, a entraîné avec lui d’autres fruits ». Fustigeant la responsabilité des dirigeants européens dans le maintien des régimes autoritaires, Tahar Ben Jelloun revient sur le cas de la Tunisie, de l’Égypte, mais aussi de l’Algérie, du Yémen, du Maroc et de la Libye. Expliquant les différences et les similitudes entre ces pays, il nous fait aussi entrer dans la tête de Ben Ali et dans celle de Moubarak, indiquant qu’un grand nombre de dirigeants arabes ont confondu leur pays avec leur propre maison, s’attribuant des privilèges exorbitants et dénigrant le peuple tout en le muselant par la répression. En quelques pages, chacun peut comprendre d’où vient ce vent de liberté. Des citoyens réprimés, torturés, assassinés avaient commis comme seul crime de réclamer la liberté et la dignité. Mais ces jeunes qui se demandent comment leurs parents ont pu accepter de vivre sous des dictatures immondes, « ont ouvert les fenêtres qui donnent sur le monde », et ils ont vu qu’ils avaient la possibilité de mieux vivre, au péril de leur vie mais pour un avenir meilleur. 


Ces révoltes en rappellent bien d’autres. Dans Le 89 arabe, livre de conversations entre Benjamin Stora et Edwy Plenel, l’allusion du titre fait autant écho au 1989 de la chute du mur de Berlin qu’au 1789 de la Révolution française. « Ces révolutions sont aussi les nôtres » indiquent-ils, ces événements ébranlent aussi nos propres pays. Entre le journaliste et l’historien, une discussion riche et éclairée, qui refuse l’indifférence, se propose d’analyser ce que ces révolutions nous apprennent, ce qu’elles interrogent, ce qu’elles bousculent, ce qu’elles ébranlent ou ce qu’elles inventent. L’analyse de Benjamin Stora propose des croisements culturels, des recoupements, ou reprend des bribes d’une histoire interrompue. Son regard traverse l’Histoire. Tout en nuances, à petits pas, il dessine un monde en mouvement qui s’insurge et entraîne avec lui d’autres mondes, d’autres révoltes, comme une réaction en chaîne qui risque de s’inscrire dans la durée, au nom de la démocratie. Dans Les Trois Exils, l’historien décrivait le destin des Juifs d’Algérie, se livrant à un va-et-vient entre son histoire personnelle et l’histoire collective. Ici, le dialogue met en lumière les dates clefs, les moments de stabilité et ceux qui présageaient un bouleversement radical : « tout d’un coup, le centre de gravité s’est déplacé, un monde longtemps considéré comme périphérique est venu s’installer au cœur de l’actualité et tous les regards se portent sur lui ». L’avenir semble alors plein d’espoir, à l’image de ce qui se joue en Égypte, ce pays qui est « le poumon du monde arabe, démographique, politique, intellectuel, culturel », rappelle Edwy Plenel. C’est effectivement en Égypte que commence le mouvement de réforme de l’islam, souligne Benjamin Stora. C’est l’Égypte qui « donne le ton, rythme, scande les phases historiques ». L’avenir dira si cet espoir parvient à s’inscrire dans le sillon de la démocratie.