Essais

Guillemette Morel Journel

Le Corbusier

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photo libraire

Chronique de Samuel Hoppe

Librairie Volume (Paris)

2015, année Le Corbusier. Année de livres ! De quoi découvrir, approfondir ou mieux comprendre l’homme né Charles-Edouard Jeanneret à La Chaux-de-Fonds, cité horlogère nichée dans les sapins du Jura suisse. Arrêt sur quelques titres qui apportent autant un éclairage nécessaire sur les zones d’ombres de l’homme, qu’ils adoucissent la trop forte lumière surexposant le mythe.

27 août 1965. Le Corbusier se noie à Roquebrune-Cap-Martin. Il relisait les épreuves du Voyage d’Orient (éd. de la Villette)dans le cabanon qu’il avait bâti à quelques pas de la villa E-1027 d’Eileen Gray, celle-là même où il a été photographié nu, pinceau à la main, au travail sur l’une des fresques réalisées durant l’été 1938 pour Jean Badovici, critique d’art et compagnon d’Eileen Gray. Cette image cocasse que Jean-Louis Cohen nous donne à regarder dans la nouvelle édition de La Planète comme chantier montre la liberté de l’architecte suisse devenu français en 1930, car insatisfait du nombre de commandes qu’il obtenait. Peintre, homme de son temps et grand voyageur, la cicatrice baroque qui orne sa jambe témoigne de sa (trop) grande proximité des avions, dans lesquels il a parcouru la terre entière animé de la volonté de convaincre que son architecture et son urbanisme amélioreraient les conditions de vie des hommes. Il devait devenir graveur de boîtiers de montres, il a finalement été l’homme de son siècle, celui qui aura inlassablement repoussé les limites de l’architecture. Commencée dans sa ville natale, son éducation d’homme moderne s’est poursuivie à Berlin, à Paris chez les frères Perret, mais aussi durant le Grand Tour que fait le jeune Jeanneret à partir de 1907. Il découvre, étudie et dessine villes et paysages italiens, visite la Mitteleuropa et roule en voiture jusqu’à Constantinople. Il photographie beaucoup. Il photographiera d’ailleurs toute sa vie, bien conscient du rôle de cet outil pour la circulation de ses idées. Son rapport à la photographie est étudié dans Construire l’image, remis en vente par Textuel cette année. La découverte du Parthénon en 1911 est un choc esthétique majeur. Il donnera à l’édifice une place centrale dans Vers une architecture (Flammarion), ainsi que l’explique Jean-Louis Cohen dans son livre. Abondamment illustré de documents d’époque, plans, reproductions, etc., aussi bien que de photographies, tant intimes qu’officielles, le livre de l’historien de l’architecture spécialiste du Corbu, parcourt la vie de l’homme. Mais celui qui prit le nom de Le Corbusier en 1920 n’était pas qu’un fervent amateur d’ordre. Comme le souligne Guillemette Morel-Journel, son architecture mais aussi son urbanisme ou sa peinture portaient une grande attention au fonctionnement des circulations. Les matériaux, il les aimait modernes, à l’image du béton qui est presque devenue sa double-peau. Il était particulièrement attentif à leurs mises en œuvre. Architecte, chercheuse et spécialiste de Le Corbusier, Guillemette Morel-Journel publie dans la très bonne collection de Simon Texier (éd. Patrimoine) sur les architectes du xxe siècle, un volume très attendu. Brillamment illustré, comme le veut la collection, le livre montre dans les détails l’importance du travail de Le Corbusier. Homme de la modernité et, par conséquent, des problèmes de son époque, l’auteure rappelle que l’architecte n’a jamais cessé de se préoccuper d’améliorer le logis. Il a toujours cherché à faire entrer la lumière et la pénombre pour sculpter des lieux de vies. Ce jeu de l’ombre et de la lumière, François Chaslin aime à le faire sien dans sa non-biographie au titre magiquement simple, Un Corbusier. Le producteur de feu l’émission Métropolitains sur France Culture, nous guide sur le chemin des ânes, ce genre de chemin que détestait Le Corbusier, pour découvrir la légende. La bousculer aussi. L’idée n’est pas de le faire tomber de son piédestal, mais, par le cheminement tranquille, par le zigzague, loin de l’ordre corbuséen en somme, de mieux comprendre l’architecte, l’urbaniste, l’homme, l’amoureux qui, qu’on le veuille ou non, à amélioré la qualité de nos logements. Lumière et ombre. Si la partie lumineuse est bien connue, Le Corbusier de l’ombre l’est moins, souvent évacué, passé sous silence. Xavier de Jarcy, journaliste, attiré par ce côté obscur, montre avec Le Corbusier, un fascisme français l’irrésistible attraction d’un homme pour les idées les plus noires de l’époque, pas très effrayé par les propos antisémites. C’est là que vient buter la fascination pour l’ordre de celui qui voulait, par dessus tout, améliorer les conditions d’existence de ses contemporains.