Beaux livres

Hokusai le vieux fou pédagogue

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✒ Samuel Hoppe

(Librairie Volume Paris)

Analyse en profondeur ou sucrerie délicieuse, le rénovateur du dessin au Japon est à l’honneur cet automne à l’occasion de l’exposition qui se tient à Paris. Trois publications à la qualité soutenue s’attachent à faire connaître un Hokusai pédagogue et auteur de nombreux edehon, ces livres de modèles typiques de l’ère Edo.

Les quelques spécialistes chinois informés de l’existence de Hokusai considèrent cet artiste prolifique comme un artisan mineur. Il ne leur viendrait pas à l’esprit de le comparer aux grands artistes calligraphes chinois. Il n’en faudrait pas beaucoup pour que les historiens de l’art japonais ne partagent leur opinion, sceptiques quant à la vague qui emporta l’Occident, et en particulier la France, à la découverte de l’immense travail de cet artiste né le 30 octobre 1760 à Edo (actuelle Tokyo), rapidement orphelin et adopté par des fabricants de miroirs. Au milieu du xixe siècle, Philippe Burty a reconnu l’énergie transgressive de celui qui s’opposait à la ségrégation du savoir par corps de métiers. Critique d’art, il est habité par le désir de voir la hiérarchie des arts imposée par l’Académie voler en éclats. Il promeut alors le travail de Hokusai. L’œuvre de celui qui a choisi le nom d’Étoile du Nord est immense. Il peint, dessine, grave et réalise des livres. Telle cette manga – terme dont il est l’inventeur et qui signifie esquisses au fil du pinceau, croquis pris sur le vif – constituée de quinze volumes publiés entre 1812 et 1878, qui se compose de plus de 4 000 dessins. Les éditions Gallimard ont fait l’audacieux pari d’en extraire une soixantaine et de les réunir dans un petit volume relié à la japonaise, très proche du format d’origine. Introduit par Dominique Ruspoli, philosophe et spécialiste de l’estampe japonaise, ce livre est un véritable panorama de tous les thèmes abordés par ce fou de dessins. Bien que soucieux de faire tomber les barrières entre corps de métiers, Hokusai était bien de son époque. Il affectionnait les livres de modèles, ces edehon typique de l’ère Edo (1603-1867). Il en a produit de nombreux, aux thèmes variés. Manuela Moscatiello, du Centre d’études d’art de l’Extrême-Orient de Bologne, en a réuni deux donnant à voir des facettes très différentes du maître japonais. Dans ces deux livres réunis au sein d’un coffret par les éditions Picquier et complété d’un volume contenant les traductions, les explications des dessins et un texte de la chercheuse italienne, on découvre la méthode systématique et rigoureuse du « Vieux fou », autant que son génie imprévisible, capable de transformer, à l’aide d’un pinceau, son énergie en une ligne vibrante, douée de vie. Reliées elles aussi à la japonaise, ces deux copies de livres donnent le sentiment, comme Hokusai Manga, de tenir entre les mains un de ces edehon qu’affectionnait Hokusai. Animé du désir de faire évoluer les choses, il a consacré en 1816 le cinquième volume de la manga à l’art de bâtir, rompant avec la tradition qui ne considérait l’architecture que comme un élément du paysage. Complété en 1836 par le Livre de dessins pour artisans, ces deux manuels sont les premiers à faire comprendre la création architecturale par le dessin. Le Seuil associé à la BnF les a réunis, annotés et traduits intégralement pour la première fois en français. La reproduction de ces deux livres pionniers de l’édition d’architecture japonaise est l’occasion d’une riche et excitante étude menée par des chercheurs, en France et au Japon, sur l’apparition de l’architecture dans les livres au Japon et le travail de Hokusai plus particulièrement. L’œuvre de celui qui avait appris de l’Europe, avant de donner aux impressionnistes un souffle nouveau en pensant l’espace différemment, est magnifiquement célébrée.