Littérature étrangère

Ronit Matalon

Le Bruit de nos pas

illustration
photo libraire

Chronique de Géraldine Huchet

Pigiste ()

Écrivaine célèbre dans son pays, la romancière israélienne Ronit Matalon signe, avec Le Bruit de nos pas, un superbe roman qui prend pour objet la figure d’une femme magnifique, perdue, une mère-courage… quelque peu borderline.

Quel bonheur de trouver sous la plume de cette romancière encore inconnue chez nous (mais plus pour longtemps, sans doute), un tel personnage, une femme-ogresse tour à tour détestable et irrésistible, une mère instable et rassurante à la fois… Tant de complexité rendue palpable par le talent de l’auteure ! Lucette, « la mère », est l’épicentre de la famille de la narratrice, reine déstabilisée d’un petit monde tout aussi bancal. Une famille juive originaire du Caire, émigrée dans le désert non loin de Tel-Aviv. La mère, donc, qui rentre tard de ses multiples travaux et dont la narratrice, « l’enfant », guette le bruit des pas sur les pavés le soir avant d’aller se coucher. Deux autres personnages complètent la petite communauté familiale, deux autres enfants, plus grands, Sami, le maçon fatigué, et Corinne, la rêveuse éveillée. Tous les quatre vivent tant bien que mal dans une baraque branlante, dont on se demande parfois comment elle arrive à tenir sans s’écrouler, à l’image de la mère… Juste à côté vit la grand-mère, « la Nona », dans un « quart de baraque » encore plus mal en point ; et puis le père, Maurice, intellectuel engagé qui fait de si brèves apparitions qu’il en paraît presque irréel. Mais la grande force de ce livre, outre cette famille si attachante malgré ses défauts, c’est son style très littéraire, au rythme prodigieux. Les chapitres, assez courts, s’enchaînent de façon fluide. Souvent, en effet, la phrase ou le mot qui clôt un chapitre commence le suivant, sans aucun effet mécanique. Les sons et les bruits, nombreux, semblent dicter le rythme de la lecture. À la manière du personnage de la mère qui ne s’arrête jamais, trottinant sur ses petits talons, qui râle, vitupère, gueule, apaise aussi, la langue se déplie, s’enroule sur elle-même pour mieux se redéployer ensuite. Vibrante, secrète, elle épouse ainsi les méandres de la pensée de la narratrice.