Essais

Le cinéma 
dans tous ses états

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GH

✒ Géraldine Huchet

(Pigiste )

Beau livre, humour, essai, entretiens : quatre livres très différents, mais qui ont en commun la passion du cinéma. Façon de montrer, si besoin était, la diversité de traiter du septième art et de sa réception. Voici, en toute subjectivité, une petite sélection de la production éditoriale de ce début d’été.


Parce que le cinéma n’aime pas être enfermé dans une seule case, parce qu’il emprunte aux autres arts pour être unique (littérature, peinture, musique...), Thomas Sotinel, journaliste au Monde et spécialiste du rock et du cinéma, a eu la bonne idée d’analyser les rapports entre les deux. Et le résultat est vraiment enthousiasmant ! Mêlant textes inspirés et riche iconographie, Rock & cinéma (La Martinière) est un vrai beau livre que l’on prend plaisir à feuilleter, s’arrêtant au gré de nos envies sur une interview de Scorsese, premier cinéaste à utiliser le rock « comme élément constitutif d’un univers et pas seulement comme une illustration sonore », ou sur des photos extraites de Coffee and cigarettes, dans lequel Jarmusch filme Iggy Pop et Tom Waits. De façon chronologique, en cinq grands chapitres, nous suivons ainsi les débuts du rock’n’roll au cinéma en 1955 et la façon dont la jeunesse américaine, puis anglo-saxonne, s’en est emparée, les chanteurs devenus acteurs avec plus ou moins de bonheur (Elvis, les Beatles, les Stones), la mode des grands concerts filmés, Woodstock en tête, jusqu’aux biopics contemporains retraçant la vie des rockers (Walk the line, Control...) : un vrai trésor !


Plus léger mais absolument irrésistible pour les amoureux des films de genre qui ont le sens de l’humour, Tous les clichés du cinéma (Fetjaine) est un « répertoire malicieux des poncifs et invraisemblances du septième art ». Avez-vous remarqué par exemple que, dans tout film d’horreur, les habitants des campagnes reculées étaient tous des sadiques dégénérés et que, lorsqu’on ouvre la porte d’un frigo la nuit, un chat en sort toujours ? Mais que faisait-il donc à l’intérieur ? Si vous vous êtes également toujours demandé pourquoi, dans les films d’aventures, les planches d’un pont suspendu étaient toujours pourries alors que les cordes étaient intactes, vous devriez bien rire à la lecture de ces clichés qui peuplent les écrans... pour encore mieux les percevoir en voyant votre prochain film de genre !


Beaucoup plus sérieux, dense mais captivant, Fondus enchaînés (Seuil) traite de l’impureté du cinéma : pour l’auteur, universitaire, celui-ci est avant tout un art des relations, chaque film se comprenant par rapport à ce qui outrepasse l’œuvre (dans son genre et dans sa réception). « Un genre, un pastiche ou une parodie, un remake ou une suite, un texte critique ou une préface, constituent autant d’objets par définition relationnels à propos desquels une poétique (plus ou moins) bien conduite peut proposer un discours ». Ce postulat posé, Cerisuelo livre (entre autres) une analyse brillante de Tout ce que le ciel permet, de Douglas Sirk et de son remake, Loin du paradis, de Todd Haynes, nous fait revivre les grandes heures de la cinéphilie et la création des Cahiers du cinéma, rend un hommage fervent au philosophe américain Stanley Cavell qui fit du cinéma son principal sujet de réflexion, et observe l’apport de l’Europe au cinéma hollywoodien à travers l’exil de grands cinéastes comme Murnau, Lang, Wilder... Bref, un essai un peu ardu mais qui aide à percevoir encore mieux les films !


Enfin, terminons avec un petit bijou, un exercice d’admiration profondément émouvant qu’a écrit Jacques Morice, critique à Télérama. Cette admiration, il la voue à Maurice Garrel, père de Philippe (le merveilleux réalisateur des Baisers de secours), et grand-père de Louis (l’acteur fétiche de Christophe Honoré). Patriarche d’une famille exceptionnelle, Maurice, immense acteur de théâtre connu du grand public au cinéma pour ses seconds rôles marquants dans La discrète et Rois et Reines, s’est éteint l’année dernière alors que le journaliste préparait un livre d’entretiens avec ce discret comédien. Alors, tout d’abord, il lui rend hommage en racontant, à mots choisis, leurs rencontres et leurs confidences. C’est magnifique car il est question d’apprentissage du cinéma et d’apprentissage de la vie, d’une rencontre avec l’art et un comédien admirable. « L’intelligence hargneuse, l’anticonformisme viscéral... un anarchiste plein d’élégance ». Garrel, ensuite, se livre à travers des entretiens thématiques. Il ne mâche pas ses mots, a des amours et des haines tenaces, mais se tient droit, au bord de l’abîme. Un comédien comme il y en eut peu, mystérieux et trop peu connu. Puisse ce livre y remédier !