Bande dessinée

Mahi Grand

La Conférence

✒ Claire Rémy

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Adaptée d’une nouvelle assez méconnue de Franz Kafka intitulée Rapport pour une Académie (1917), La Conférence est le premier album de Mahi Grand en tant qu’auteur et illustrateur. Son dessin rend parfaitement hommage à l’ironie et à l’ingéniosité de ce texte sur la condition humaine, dans ce qu’elle a de plus affligeant.

Devant un immense parterre de vieux messieurs blancs tout de noir vêtus, un homme s’avance et prend place sur l’estrade. Se défaisant de son manteau rouge vif, il allume un cigare et commence un long monologue des plus surprenants : comment est-il passé de sa condition de singe à celle d’homme, en seulement cinq ans ? En d’autres termes, comment convaincre ces académiciens perclus de certitudes sur leur valeur qu’il est leur égal, qu’il est un homme parmi les hommes ? Pour ce faire, il va remonter à l’origine de son histoire : son enlèvement dans la jungle africaine et son voyage jusqu’en Europe, d’abord enfermé dans une caisse en bois puis dans une cage. Comment, depuis cette cage, il a observé chaque jour les marins vivants sous ses yeux, jusqu’à créer du lien avec certains et avoir l’idée d’apprendre à être un homme, par mimétisme afin de gagner sa liberté. Enfin comment, ayant réussi à acquérir la parole, il est devenu artiste de music-hall dans un cirque. Continuant de progresser dans l’apprentissage de sa part humaine, il obtient la célébrité et découvre alors l’argent, ce qui facilitera encore un peu plus l’obtention de sa liberté et son intégration à la société. Avant la consécration : il deviendra une vedette aux États-Unis ! Ici, pas d’explications scientifiques : notre narrateur ne fait que rendre compte de son étonnant parcours à ses pairs, dans un discours érudit et un brin provocateur. Oui car tout au long de son récit, il réfléchit à la liberté (ne serait-ce pas une notion relative, selon la personne qui la recherche ?), au pouvoir de l’argent, à la soi-disant supériorité intellectuelle de l’humain. Et s’il est savoureux de noter la maîtrise de l’ironie du narrateur, pas sûre que son auditoire le perçoive, ce qui rend la démonstration d’autant plus piquante. Les différentes étapes de la « transformation » de notre homme-singe sont entrecoupées de citations bien à propos de philosophes ou d’écrivains allant d’Érasme à Jean Giraudoux, accentuant encore le véritable thème de ce discours : l’opposition entretenue depuis des siècles entre l’Homme et l’animal. Tout ce qui supposément ferait de nous des êtres supérieurs est ici égratigné avec innocence et mordant. Le dessin de Mahi Grand fait pour beaucoup à la justesse de cette histoire, avec une attention particulière donnée aux expressions du narrateur. Les émotions parfois peintes sur son visage ajoutent au cynisme de son exposé. La chute de cette histoire, enfin, est d’une cruelle ironie et met un point d’honneur à ce récit brillant !

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