Essais

Nora Philippe

Cher Pôle emploi

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photo libraire

Chronique de Amel Zaïdi

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Lors du tournage de Pôle emploi, ne quittez pas, Nora Philippe recueille une somme de courriers d’allocataires répondant à un avis de radiation. C’est dans Cher Pôle emploi qu’elle décide de rendre visibles ces « infilmables ».

Dans son essai-document, la réalisatrice se focalise sur ces lettres de demandeurs d’emploi avec la volonté de les « extraire des murs » de l’agence et tenter de rendre visible le processus de radiation. C’est sous l’influence des textes de Michel Foucault que Nora Philippe traite ces sources qu’elle considère comme des « reliques » dont elle retranscrit le contenu et livre pour certaines, dans un souci de justesse documentaire, une version fac-similé. C’est donc suite à une absence non justifiée à un rendez-vous ou victimes d’une erreur informatique que les allocataires se voient contraints de prendre la plume et d’adresser des mots d’excuses, des justifications, ou encore des supplications, souvent ponctués d’une syntaxe et d’une orthographe incertaines qui côtoient sans harmonie des formules de salutations distinguées. Ce matériau épistolaire recueilli dans une agence de Seine-Saint-Denis constitue un ensemble de récits de « vies invisibles » et témoigne de la détresse sociale de leurs auteurs. Certains adoptent une forme d’humour désabusé en signant « votre fidèle allocataire », d’autres jouent sur les mots et nomment leur agence « Paul Emploie », comme pour tenter d’humaniser cette institution bureaucratique en la personnifiant. Pour Philippe Artières, qui signe la postface, ces absences sont loin d’être anodines, et révèlent l’exclusion de ces personnes « absentes au monde ». À travers l’analyse de ce corpus, Nora Philippe complète son film-documentaire Pôle emploi, ne quittez pas, encensé par la critique lors de sa sortie en 2014, et persiste dans sa démarche documentaire qui consiste à porter un regard sur ce qui est « hors-champ », sur « l’invisible », leitmotiv de ses travaux.