Littérature étrangère

Sashi Deshpande

Question de temps

illustration
photo libraire

Chronique de Caroline Clément

()

La maison, territoire de l’intime, est au cœur de Question de temps de Shashi Deshpande, où destins individuels et familiaux s’entremêlent. Qu’une seule vie bascule et c’est l’existence de tous les autres qui doit se réorganiser.


Les actes échappent parfois à leur dénomination. Il faut un « après-coup » pour commencer à formuler, à désigner ce qui vient de se produire, ce qui, dans un premier temps, laisse sans voix. Lorsque Gopal quitte sa femme Sumi et ses trois filles, c’est un immense pan de leur vie qui s’effondre. Et lorsque l’abandon se vérifie, que la conscience du traumatisme émerge, que le silence s’installe et perdure, c’est tout un paysage familial qu’il faut recomposer. La maison d’enfance de Sumi sera le lieu du refuge. Contre la tempête des émotions qui tour à tour révolte, déchire ou s’enfouit, presque paisible, au plus profond des âmes, le mieux est encore de retrouver cette grande maison aux arbres et aux pièces immenses, gorgée de vie, grouillante de souvenirs et toujours animée par les allées et venues de ses occupants : Kalyani et Shripati, Premi, Goda, Devaki, Aru, Charu… Rencontres, murmures, tensions, conciliabules, la vie domestique est propice aux échanges. Les histoires circulent et les secrets, progressivement, se dévoilent, en même temps que se dévoilent quelques-unes des questions fondamentales de l’Inde. 


Shashi Deshpande, qui dans ses romans relie le présent et le passé, met face à face trois générations de femmes et explore à ce titre leur place dans la société indienne. Le microcosme familial, point de départ d’une vision plus universelle, est observé à la loupe en même temps que l’intime de chacun des personnages. On s’interroge sur la notion de destin, sur la question de la liberté individuelle, sur la filiation et le poids des secrets ; sur le couple et l’amour, sur les femmes et le travail, sur la lourdeur des conventions et sur le changement, irréversible puisque Gopal est parti. « Qu’est-ce qui t’a poussé à faire ça, Gopal ? », demande sa sœur. Les mots lui brûlent les lèvres. « Chacun doit trouver le sens de sa propre vie », entend-elle. C’est donc ce que serait Question de temps : un roman aux effets bouleversants sur le but de l’existence, sur le sens de la vie.

Les autres chroniques du libraire