Essais

Frédéric Schiffter

Le Charme des penseurs tristes

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photo libraire

Chronique de Caroline Clément

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Lui prêter du charme et lui faire tant d’honneur. La tristesse émeut Frédéric Schiffter, qui consacre un texte sensible aux penseurs de la mélancolie. Passionnant, et délicat. Le « philosophe sentimental » nous séduit.

Frédéric Schiffter voudrait-il nous prendre par les sentiments ? Lui, tombé philosophe par tristesse depuis la perte prématurée de son père, éprouverait donc une forme de sympathie pour les mal-aimés de la philosophie ? Sont-ils oubliés, ou simplement délaissés ? Et pour quel prétexte les tient-on éloignés de nos existences – et les libraires de leurs rayons ? Est-ce le reproche de voir en leurs écrits un inextinguible désespoir ? Mais connaît-on bien ces hommes, et cette femme, Mme Du Deffand, que l’auteur de La Beauté, une éducation esthétique semble fréquenter depuis si longtemps ? Socrate, oui. La Rochefoucault et l’Ecclésiaste, encore. Mais Hérault de Séchelles. Et Caraco ? Et Roorda ? Et Cioran ? Sait-on vraiment ce qui nous prive de lire ce « contempteur de l’être », qui fait naître en la personne du jeune Schiffter un ravissement inégalé ? Le scepticisme, le nihilisme, la négation, l’ennui... « C’est de toutes les maladies de l’âme la plus effrayante », écrira Mme Du Deffand, surnommée ici « marquise du cafard ». Le charme ? Celui du coeur mélancolique. Et ce bonheur, qui « s’éprouve comme une joie tiédie, en sourdine, débarrassée de ses transports et de ses éclats, réduite à un simple sentiment agréable et égoïste de facilité d’être (...) ». Oui, le charme, d’un auteur qui s’éprend –ce n’est pas nouveau, en témoignent ses nombreux écrits- d’une lignée de philosophes, et qui embrasse avec élégance, richesse et érudition le motif tragique de l’existence. Le chagrin personnel de Schiffter continue de s’égrainer, posant la tranquille conviction qu’une vie vaut toujours mieux lorsqu’elle est lucide. On contemple avec lui les paysages de la tristesse, un peu effrayés, un peu inquiets, mais ravis d’en saisir les nuances, les ressorts, la portée. L’auteur nous dirait « volupté ».

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