Littérature française

Paola Pigani

N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures

AB

✒ Antoinette Brunier-Roméo

(Librairie Le Cadran lunaire, Mâcon)

N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, magnifique premier roman de Paola Pigani, est plus qu’un hommage aux Tsiganes, c’est un grand livre sur la liberté, la jeunesse et l’amour.

Printemps 1940. Alba, 14 ans, et sa famille sont internées dans le camp des Alliers, non loin d’Angoulême. Ils sont des centaines à suivre ce chemin car un décret interdit la libre circulation des nomades. Ils sont dangereux, paraît-il. À cette époque, comme aujourd’hui d’ailleurs, on trouve que les Manouches sont des individus malfaisants et dangereux. Alors on les cache, on les enferme et, comme tant d’autres exclus, on les affame, on les maltraite, qu’ils soient enfants, mères, pères, vieillards, parce que ce sont des « sauvages ». « Sauvage » cela signifie : « qui vit en liberté dans la nature – non domestiqué. » Magnifiquement sauvage, la petite Alba, oiseau frêle et farouche, veille sur sa tribu. Elle est la vie, elle est la force de la jeunesse. Et c’est dans une seule pièce qu’elle devra vivre avec père, mère, frères, tante, sans roulotte, sans chevaux, mais avec le froid, la faim, la crasse, la boue, la maladie, le désespoir qui parfois emporte tout. Et l’attente, interminable. C’est avec ce petit monde affamé et désolé qu’elle grandit. Et au sein de cette misère absolue qu’elle devient femme. Malgré l’effroyable odeur de la guerre, malgré la faim, malgré les morts, Alba est l’incarnation de l’espoir. Parce que les Gitans fabriquent de l’espoir avec pratiquement rien, parce qu’ils savent redonner vie avec un bout de bois et avec un morceau de chiffon changer le monde. N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, remarquable hommage au peuple gitan, peuple libre depuis toujours confronté à la folie des hommes, est simplement magnifique. Mais ce n’est pas que cela. C’est un livre sensible, juste, qui dit les malheurs sans apitoiement. C’est un livre apaisé, très mûr bien que ce soit un premier roman – le fait est suffisamment rare pour être souligné, remarqué, lu tout de suite et par tous.

Les autres chroniques du libraire