Littérature française

Mathias Enard

Mélancolie des confins

MB

✒ Margot Bonvallet

(Librairie Passages, Lyon)

Mélancolie des confins est le premier volet d’une trilogie qui explore l’Europe par ses limites, un récit documentaire qui tourne autour d’un narrateur à la fois historien, voyageur, arpenteur et rat de bibliothèque. De réjouissantes retrouvailles libératrices de savoir, donc.

Le narrateur se retrouve à Beelitz-Heilstätten, une clinique au sud-est de Berlin où il est venu rendre visite à une amie chère, E., qui y est soignée et recluse pour un long hiver, suite à un accident cérébral. La revoir ainsi a été un moment émouvant. C’est hébété qu’il ressort de cette visite. Alors il marche, arpente l’ancien sanatorium puis les alentours. Enfin, les confins de sa mémoire se rouvrent. Il se souvient de la marche du Brandebourg, de son rôle majeur dans l’Histoire de l’Allemagne, de faits, de stratégies historiques et politiques, mais aussi de lectures, de moments vécus avec des amis, de conversations. Tout nous est savamment livré avec autant de tendresse que d’esprit. Ses pensées défilent en relecture du périmètre qu’il arpente et ainsi affluent des souvenirs marquants soudain retrouvés. On accompagne nous aussi cet amoureux des lettres et des faits, germaniques mais pas seulement, et ses pensées deviennent un peu nôtres. Le texte se déploie avec poésie, explorant et dénichant, au passage, quelques délicieuses surprises dans les (re)plis de la mémoire. Cette errance – « la seule façon d’explorer les bordures, les marches de la littérature et des empires, les sillons où reposent les guerriers, littérature des limites et poésie des confins » – transforme la mélancolie en remémoration, frôlant par moments le dantesque. On y croise tant d’auteurs que l’on aime lire nous aussi – Cendrars, Bachelard, Mathieu Larnaudie, Claro, le collectif Inculte, Walser, Fontane, Montaigne. (La liste n’est pas exhaustive car délicieusement longue.) On jongle avec la rêverie et les épiphanies, le réel et le songe, la mémoire et l’oubli, et tout se fait en correspondances. Ce livre sonne non comme un glas mais une réinvention libératrice de la notion de frontière, nous rappelant l’importance des marges de l’Histoire et des confins, avec un sens précis (re)donné à ces mots.

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