Polar

Jérémie Claes

Entretien par Margot Bonvallet

(Librairie Passages, Lyon)

Après L’Horloger, thriller politique vertigineux, gargantuesque et déchirant, Jérémie Claes nous embarque à nouveau avec ses personnages fétiches dans un polar engagé et humaniste pour dénoncer, mots justes au poing, l’inaction politique face à la tragédie des migrants et la montée des milices identitaires d’extrême droite.

Quelle était l’intention initiale de ce roman ? Saviez-vous précisément où vous alliez ou le roman s'est-il construit progressivement ?

Jérémie Claes J’avais l’idée de départ, celle de la plage, et une volonté de dénoncer. Puis j’ai construit la suite au fur et à mesure, comme on tisse une toile, de manière très organique, en laissant vivre les personnages. Cela permet in fine d’obtenir une trame étonnamment solide et cohérente. Par ailleurs, j’avais en tête à chaque page une sorte de mission que je m’étais donnée : rendre justice à tous ces réfugiés qui tentent de traverser la Méditerranée.

 

Ce roman est-il à lire comme une suite de la rude enquête du commandant Solane, déjà croisé dans L’Horloger, votre premier roman, alors chargé de la protection de Jacob, et déjà à la poursuite de la vérité ? Pourquoi avoir renoué avec ce policier ?

J. C. Commandant Solane n’est pas une suite même si j’ai choisi de retrouver ce personnage qui ne devait apparaître que pour un seul chapitre à l’origine. Je l’ai trop aimé pour l’abandonner et j’ai eu un plaisir fou à l’inventer, à le faire vivre. Il est inspiré de l’un de mes meilleurs amis et j’ai l’impression étrange de passer vraiment du temps avec lui. Mais quoi qu’il en soit, je n’ai pas pris cette décision suite au succès de mon premier roman. C’est venu très simplement.

 

Commandant Solane s'inscrit à nouveau dans la grande tradition du polar social qui sait décrypter les lignes politiques déplorables et l’ignorance du racisme ordinaire. Les dialogues sont vifs, parfois d’une ironie qui n’est pas sans rappeler certains films. Avez-vous, à travers ce texte, cherché à rendre hommage à des auteurs ou réalisateurs en particulier ?

J. C. Je suis cinéphile et j’ai bien sûr adoré les dialogues d’Audiard ou de Prévert, mais je n’ai pas cherché à leur rendre hommage. Solane est un Parigot pur jus, il a été élevé au sirop de la rue. Un vrai titi. Il a le verbe fleuri et je n’ai fait que le coucher sur papier. J’aime aussi quand la poésie s’encanaille, quand elle se teinte de trivialité.

 

Le fond politique est un fil narratif passionnant et éclairant, et n’est pas sans faire penser au contexte actuel, toute ressemblance avec des personnes réelles ne paraissant pas tout à fait fortuite. Comment vous êtes-vous documenté pour nous entraîner sur les traces de groupuscules fascistes liés au parti d'extrême droite, le Rassemblement patriotique ?

J. C. J’ai au quotidien un vrai engagement contre l’extrême droite et toutes les formes de racisme. Il n’y a pas de hasard, évidemment, et la seule raison pour laquelle je n’ai pas parlé nommément de Marine Le Pen, de Marion Maréchal ou du RN est que cela me permettait de pousser la fiction jusqu’au bout, sans barrières. Mais mon message n’en est pas moins virulent et mon roman décrit aussi, hélas, la réalité. Il est vrai que la satire permet d’être impitoyable et je n’ai aucune tendresse pour la famille Le Pen.

 

La vivacité quasi cinématographique des dialogues, dans ce roman, le rend encore plus admirable. Comment avez-vous décidé d’insérer autant d’humour et de dérision pour en faire des armes redoutables ?

J. C. L’ironie est naturelle à Solane, comme elle l’est pour moi. L’humour permet de désarmer les salauds.

 

Comment se sent-t-on lorsqu'on vient à bout de l'écriture d'un roman comme Commandant Solane ? A-t-on la sensation d’avoir participé à rendre justice, à mettre au jour les trafics qui exploitent la misère humaine des exilés, à questionner notre rapport au phénomène migratoire, à dénoncer son instrumentalisation politique et à appeler à la solidarité et non plus à l’insensibilité ?

J. C. Je n’ai pas eu le choix. Il fallait en parler. L’inaction européenne m’indigne particulièrement. J’ai voulu témoigner aussi, parler des geôles libyennes, par exemple. Qu’on sache. Mais je ne me fais aucune illusion sur la portée de mon roman. Il est peut-être une pierre de plus, un jalon. De toute façon, on ne peut pas laisser faire sans rien dire. Alors, j’ai dit. Et je dirai encore. Ce qu’il en restera, ça, c’est une autre question.

 

Le commandant Solane et son ancien supérieur et ami, surnommé le Busard, se la coulent douce dans le sud-est de la France. Mais quand quarante-deux corps mutilés et calcinés de migrants sont découverts sur la plage, sans doute assassinés, la retraite tranquille en prend un coup. Les autorités locales, sous la coupe d'une députée d'extrême droite, Anaïs Prigent, veulent étouffer l’affaire. Il s’agira alors de reprendre du service pour clarifier ce qui s’est passé et ainsi rendre justice aux victimes. Un roman qui émeut par moments et ne laisse pas indemne. Porté par un sens acéré du rythme, une langue savoureuse et une critique sociale percutante et saupoudrée d'humour, ce récit nous emporte.

Les dernières parutions du même genre