Polar

Michaël Mention

La Voix secrète

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photo libraire

Chronique de Nadège Rousseau

Librairie Passages (Lyon)

Ah bon ? Michaël Mention a écrit un polar historique ? C’est vrai, on ne s’y attendait pas. Et tant mieux ! La surprise n’en est que plus belle. Car c’est avec talent qu’il détourne les codes. Et qu’il nous embarque dans une enquête incroyable menée tambour battant.

Paris, 1835. Les attentats visant Louis-Philippe se multiplient, la capitale est en ébullition. C’est dans un climat de peur et de répression politique que nous plonge Michaël Mention. À la Conciergerie, Pierre-François Lacenaire, poète et assassin, rédige ses Mémoires en attendant son exécution. Dehors, Paris gronde, et dans les quartiers les plus miséreux, des meurtres terribles sont commis. On vient de retrouver la tête d’une fillette. Et ce n’est que le début... Allard, le chef de la Sûreté, rend visite au criminel. Car même si celui-ci n’a jamais tué d’enfant, le modus operandi des crimes rappelle celui de Lacenaire. A-t-il un complice encore en liberté ? Un admirateur ? Allard et Lacenaire entretiennent déjà une relation ambiguë. Car malgré tout ce qui les sépare, les deux hommes se respectent et ont noué une manière d’amitié. Et cette enquête les emmènera plus loin encore, puisque pour la mener à bien, l’homme de justice doit demander l’aide du condamné. Tout au long du roman, le policier et le criminel servent de guides dans un Paris terrifiant, bouleversé par l’instabilité politique. D’un côté, les puissants veulent le rester à tout prix, la monarchie se cramponnant à son trône, et l’industrie prend son essor. De l’autre, des enfants entrent et sortent des usines, la misère se propage, les laissés-pour-compte meurent dans l’indifférence. On se retrouve alors aux Halles, aux Abattoirs, dans des tripots, des bouges où les artistes se saoulent à l’absinthe. Là où ça pue, ça boit, ça tue. Dans ces eaux troubles, c’est surtout Lacenaire qui ouvre la voie. Mais ce personnage charismatique, mégalomane au possible, est un narrateur-piège, subversif. Pour lui, la « France [est] suffisante et lâche », et il rêve d’un « suicide par la guillotine ». Allard, quant à lui, n’est pas en reste. Fervent lecteur de Quételet, il se reconnaît dans ses écrits et porte un regard critique sur la société, qui « renferme en elle les germes de tous les crimes qui vont se commettre, en même temps que les facilités nécessaires à leur développement ». Ainsi, Michaël Mention mêle habilement faits historiques et réflexions socio-politiques à une intrigue haletante. Car autour de ses personnages, l’étau se resserre et les victimes sont de plus en plus nombreuses. Michaël Mention prouve une nouvelle fois son talent en nous prenant à revers avec ce roman historique qui fait terriblement écho à notre temps. Un roman social, brutal, nerveux, où les âmes les plus noires sévissent. En toute impunité ?