Polar

Luis Sepúlveda

La Fin de l’histoire

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photo libraire

Chronique de Nadège Rousseau

Librairie Passages (Lyon)

Depuis Le Vieux qui lisait des romans d’amour (Points), paru en France en 1992, Luis Sepúlveda ne cesse de nous prouver ses talents de conteur. Cette année, Métailié publie une nouvelle édition d’Un nom de torero, en même temps que son dernier roman, La Fin de l’histoire. Deux grands romans à ne pas rater !

Miroirs l’un de l’autre, ces romans mettent en scène un héros charismatique et inoubliable : Juan Belmonte. Cet homme, qui porte le nom d’un torero mythique, est un produit de l’histoire mouvementée du Chili et on ne peut pas parler de lui sans évoquer son pays. Un pays « où on peut boire l’apéro avec un génocidaire, mais où le meurtre est un délit imprescriptible ». Ancien guérillero, formé par des agents soviétiques en URSS, il a combattu dans toutes les révolutions sud-américaines, ou presque. Dans Un nom de torero, on le découvre exilé en Europe dans les années 1990, poursuivi par les fantômes de son passé, ayant laissé derrière lui son pays et ses idéaux révolutionnaires. Sa compagne, Verónica, est elle aussi brisée, traumatisée par les tortures subies sous la dictature de Pinochet. Et quand s’ouvre La Fin de l’histoire, Belmonte et Verónica vivent dans le Sud du Chili, au plus proche « du bout du monde », loin des guerres et des horreurs qui les ont détruits. Mais l’Histoire ne les laissera pas tranquilles, ça, non. Car encore une fois, la « Lloyd Hanséatique » (une compagnie d’assurances aux desseins plus qu’opaques) va faire pression sur Belmonte pour l’obliger à accomplir une dernière mission. Celle-ci : retrouver deux mercenaires chiliens aux ordres des services secrets russes, revenus au pays pour des raisons que tout le monde semble connaître. Sauf Belmonte, bien sûr. Et là où Sepúlveda est grand, c’est qu’au cœur de cette intrigue apparemment linéaire, il réussit à nous emporter dans les cuisines de la Conférence de Yalta, dans les camps d’entraînement des services secrets russes, dans les cellules de la Villa Grimaldi. Les fils de la narration s’entrelacent, et le destin des personnages est inextricablement lié aux remous de l’Histoire, aux grandes révolutions qui ont bouleversé le monde au XXe siècle, aux jeux de pouvoir qui opposent les maîtres du monde. Ces personnages ne sont-ils donc que des pions ? Peut-être sont-ils aussi les miettes que l’Histoire a laissées derrière elle. Dans ce tourbillon que Sepúlveda orchestre, dans le rythme qu’il nous impose, il laisse apparaître les failles. Entre la « grande Histoire » et la petite : car « la littérature raconte ce que l’histoire officielle dissimule ». Alors, il nous montre ces espaces d’où surgissent les monstres, là où l’ombre règne. Cette ombre qui est omniprésente. À laquelle personne ne peut échapper : elle nous précède ou nous poursuit, elle est notre passé et notre avenir. « Personne ne peut échapper à son ombre. Quelles que soient les routes que l’on prend, l’ombre de ce que nous avons fait et de ce que nous avons été nous poursuit avec la ténacité d’une malédiction ». Oui, la malédiction nous rattrape toujours. Alors comment se reconstruire ? Vivre avec son ombre ? Peut-on mettre fin à l’Histoire ? Luis Sepúlveda signe ici un roman court, violent, d’une maîtrise incroyable. Magistral !