Polar

Franz Bartelt

Hôtel du Grand cerf

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photo libraire

Chronique de Nadège Rousseau

Librairie Passages (Lyon)

Franz Bartelt est un auteur prolifique : poète, nouvelliste, dramaturge, touche-à-tout incroyable. Le 11 mai dernier, son nouveau roman est paru aux éditions du Seuil : Hôtel du Grand Cerf. Un polar burlesque, une lecture jubilatoire : ne passons pas à côté !

Un beau jour, un producteur de films fait appel à Nicolas Tèque, journaliste désargenté. Et lui demande d’enquêter sur la mort de Rosa Gulingen : cette actrice mythique se serait noyée dans la baignoire d’un hôtel de campagne le 6 juin 1960. Était-ce réellement un accident ? Tèque est loin d’être emballé par cette vieille histoire mais il n’a pas vraiment les moyens de refuser. Le voilà donc parti pour Reugny, un petit village des Ardennes belges. Et, à peine arrivé, il se retrouve impliqué dans une bien sombre affaire. Le village est en émoi : une jeune fille a disparu et le cadavre du douanier local vient d’être retrouvé. C’est alors qu’entre en scène notre deuxième limier : l’inspecteur Vertigo Kulbertus, mal embouché, obèse, feignant. Mais l’est-il vraiment ? Au fil du roman, Bartelt fait se répondre les deux intrigues et mène la narration d’une main de maître. En surtout, il plante un décor inoubliable, au milieu de nulle part. Ici, tout le monde se connaît, tout le monde s’espionne. Et le douanier assassiné se révèle être un homme exécrable, un maître-chanteur animé par la haine qu’il voue au village et à ses habitants. Oui, à Reugny, l’ambiance est propice aux rancœurs, aux secrets, aux jalousies. Et cette atmosphère, parfois empreinte de mélancolie, révèle la pauvreté des sentiments des uns et des autres, la petitesse de leurs vies misérables. En effet, Bartelt ne va pas juste nous prendre par la main et dérouler sous nos yeux une intrigue policière classique, il va dresser un portrait plus ou moins cynique de ce petit bout d’humanité. Et aussi, subtilement, insidieusement, il laisse se déployer l’ironie, y ajoutant des touches de grotesque géniales. Quelle joie de découvrir sa langue, son imagination débridée ! Revenons, par exemple, sur le personnage de Vertigo Kulbertus, celui qui « constituait à lui seul, du moins en volume, la moitié des effectifs de la police belge ». À quatorze jours de la retraite, il est embarqué dans cette enquête un brin glauque qu’il n’a pas vraiment envie de résoudre. Un inspecteur a priori raté, un bon vivant flamboyant, qui tient à ses quatre repas par jour (tous accompagnés de frites) et à ses bières (sans mousse, attention). Mais s’il a l’air impotent, indolent, candide, parfois stupide, il faut se méfier des apparences. Car Kulbertus nous désarçonne : « Ma méthode, […] c’est de ne pas avoir de méthode. Ce que je veux, c’est mettre ce village sens dessus dessous. Que personne n’y comprenne plus rien. […] Je crée la panique. J’installe la folie dans le pays. […]À la fin, il sortira bien une vérité de ce sac de nœuds. » Kulbertus cimente le roman, fait le lien entre son enquête et celle de Nicolas Tèque, ce petit journaliste avec qui il finit par entretenir une amitié touchante. Sa verve, son amplitude sont extraordinaires, au sens propre du terme. Alors, avec tout ça en tête, il ne nous reste plus qu’à se laisser emporter par la prose de Bartelt. Il ne nous reste plus qu’à nous délecter de ce superbe polar !