Littérature française

Alexandre Seurat

La Maladroite

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photo libraire

Chronique de François Reynaud

Librairie des Cordeliers (Romans-sur-Isère)

Au Rouergue à la rentrée, il n’y aura qu’un texte au programme, un premier roman. Un seul texte, mais quel texte ! La Maladroite revient sur un fait divers qui a bouleversé Alexandre Seurat. Ne sombrant à aucun moment dans le scabreux, il avance entre tendresse et rage. Bouleversant.

À tous, quand on lui demande des explications, elle dit qu’elle est très maladroite. Ces bleus sur son corps et ces brûlures sur sa peau, ça lui vient d’un accident dans sa prime jeunesse qui l’a laissée un peu fragile mentalement, explique son père. Aussi, dans les moindres actions de la vie courante, la petite fille se blesse souvent… Vous savez, ce n’est pas très facile d’avoir une enfant pareille à surveiller toute la journée. D’autant qu’elle n’est pas seule. Frères et sœurs aussi sont causes de ses petites blessures. Les enfants entre eux, ça chahute. Mais nous tenons à vous remercier, Mme l’institutrice, Mme la directrice, Mme le médecin scolaire, M. le gendarme, Mme l’assistante sociale, M. le pédiatre hospitalier, Mme du bureau de l’aide sociale à l’enfance, pour l’attention que vous portez à notre petite Diana. On tient tellement à elle ! Pour avoir été bouleversé par le sort d’une petite fille de 8 ans martyrisée à mort au sein de sa famille dans la Sarthe en 2009, Alexandre Seurat a décidé d’aborder cette histoire à travers l’écriture d’un roman, qu’il a pensé comme le déroulé implacable de nos manquements à l’égard d’une enfant que personne ne parviendra jamais à retirer à ses parents. Comment est-ce possible ? Comme la lecture avance, on a envie de hurler d’impuissance. Certains proches, des institutrices essayeront bien pourtant de tirer l’alarme devant l’évidence des blessures à répétition que la fillette porte sur le corps, mais aucun ne parviendra à mettre en mouvement la grande machine qui la protègera de ses parents. La Maladroite est un livre qui secoue son lecteur en démontrant l’incapacité des volontés individuelles face à des situations qui relèvent de la sphère familiale. Qui dénonce également la terrible lourdeur judiciaire devant l’urgence de certains cas. C’est un livre où s’entrecroisent, alors qu’il est déjà trop tard, les voix des différents acteurs de ce drame. Certains rongés par la culpabilité, quand d’autres semblent se retrancher, à peine gênés, derrière la conviction du devoir accompli. C’est sans pathos, sans effets. Pourtant cela vous prend au ventre dès les premières pages. Alexandre Seurat revient sur cette histoire en la faisant commencer lorsque sont donnés les premiers signalements par l’institutrice. Et alors que ce drame est déjà joué, le lecteur se prend à croire malgré lui que la fillette va s’en sortir. Non pas en raison d’un intérêt romanesque qui serait d’un mauvais goût absolu, mais pour nous faire éprouver combien il aurait suffi de presque rien pour que cette maladroite échappe à son destin. À aucun moment l’auteur ne cède à l’indécence où au voyeurisme. Ce que nous devons comprendre et ressentir, ce sont les silences de la fillette qui nous l’imposent. Vraiment, ce texte apparaît comme une caresse qui serait née d’un geste de violence. Un écrivain est passé par là. De sa rage il a fait un superbe linceul de mots tissé en la mémoire d’une enfant qui n’a jamais connu la douceur.