Littérature française

Joseph Andras

De nos frères blessés

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photo libraire

Chronique de François Reynaud

Librairie des Cordeliers (Romans-sur-Isère)

Mitterrand aurait tenu à abolir la peine de mort pour se racheter de l’Affaire Iveton, cet ouvrier communiste, militant pour l’Algérie indépendante à qui il refusa, vingt-cinq années plus tôt en tant que Garde des Sceaux, le recours en grâce. Retour sur une affaire douloureuse dans un premier roman saisissant.

C’est d’un homme simple dont Joseph Andras fait le portrait dans ce livre. Un homme qui a réellement existé et qui n’avait pas l’ambition d’être un jour le héros d’un roman, ni celle d’apparaître telle une exception tragique dans la non moins tragique histoire de la guerre d’Algérie. Fernand Iveton est son nom. Certains (les plus anciens) se souviennent de lui. D’autres l’ont découvert plus tard en lisant par exemple les ouvrages que Jean-Luc Einaudi lui a consacrés en son temps. Pour tous certainement, comme pour ceux qui découvriront son histoire à travers ce roman, demeure et demeurera longtemps un sentiment de malaise et de dégoût profond. Voici en effet l’histoire du seul Européen exécuté par la justice de l’État français durant la guerre d’Algérie. On traita comme un assassin celui qui ne tua jamais personne. Fernand Iveton était un Français d’Algérie. Lui, pourtant, se considérait d’abord comme algérien. Algérien d’origine française mais Algérien d’abord, comme ses papiers l’indiquent clairement : « Né à Alger en 1926 ». Algérien de tout son cœur et de toute son âme, car fils de cette terre ! Ouvrier dans l’usine qui alimente Alger en gaz et membre du parti communiste, c’est tout naturellement qu’au moment de la guerre d’Algérie, il prend le parti de la révolte et de la lutte anticolonialiste, le colonialisme n’étant à ses yeux qu’une expression abjecte de la domination et de l’exploitation des puissants sur les faibles. Et c’est dans cet état d’esprit qu’un jour de novembre 1956, devenu membre du Front de Libération Nationale (FLN), son triste sort va se sceller. Iveton pose en effet une bombe artisanale dans un local désaffecté de l’usine où il travaille, avec pour unique projet de perpétrer un acte de sabotage qui privera de gaz la capitale. Il ne veut tuer personne et n’approuve pas les bombes des rebelles qui déchirent la ville depuis plusieurs semaines en tuant des innocents. Tuer des civils est inconcevable à ses yeux. Seulement voilà, si sa bombe ne tuera personne, ce sera pour une autre raison. C’est qu’elle n’aura pas le temps d’exploser. Iveton a été dénoncé et il sera arrêté en pleine préparation de son forfait. On se dit alors qu’il va passer un mauvais quart d’heure, mais que d’ici quelques jours, il retrouvera sa liberté. Il n’a tué personne, et la France n’est pas une dictature. C’est mal connaître « l’intérêt supérieur de la nation ». La lecture de ce roman montre de façon remarquable en quoi le destin d’un homme n’est rien face à la raison d’État, laquelle aime à se montrer inflexible… jusqu’à l’aveuglement. Joseph Andras trouve dans ce premier roman la voix juste pour parler d’un homme dont la voix, justement, ne portera pas. Son sort ne soulèvera aucun mouvement d’ampleur en métropole. Ce court roman, qui est aussi une magnifique histoire d’amour, se reçoit, on doit bien l’avouer, d’abord comme un uppercut. Attendez-vous à sentir votre mâchoire se démantibuler.