Littérature étrangère

Joseph Sheridan Le Fanu

La Main de Wylder

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photo libraire

Chronique de Sandrine Maliver-Perrin

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Longtemps méconnu en France, Joseph Sheridan Le Fanu (1814-1873), admiré d’Edgar Poe et de James Joyce, apparaît aujourd’hui comme l’égal de son contemporain William Wilkie Collins. 
Les éditions Phébus ont l’excellente idée de nous offrir un roman inédit de l’auteur de Carmilla ou Oncle Silas, dans lequel on 
retrouve tout le talent de ce grand maître irlandais du bizarre.



Le temps passant, on avait un peu perdu de vue le prolifique Sheridan Le Fanu, maillon indispensable dans la chaîne séculaire du récit de terreur qui, des gothic novels de Mrs Radcliffe aux best-sellers de Stephen King et Peter Straub, n’a cessé d’alimenter nos cauchemars de lecteurs. La traduction de ses œuvres chez Corti, puis chez Phébus ces dernières années, permet aujourd’hui de mieux saisir l’importance de ce grand auteur et de découvrir ou redécouvrir son art consommé du suspense et son talent à dénoncer l’hypocrisie de la bonne société. La Main de Wylder, traduit par le très talentueux Patrick Reumaux, nous plonge à nouveau avec délice dans un roman de l’époque victorienne.


Angleterre, début du xixe siècle. Le narrateur, Charles De Cresseron, avocat de métier, est invité au manoir de Brandon Hall par son ami de jeunesse Mark Wylder, qu’il n’a pas revu depuis une vingtaine d’années. Ce dernier est sur le point de convoler en justes noces avec sa cousine orpheline, Dorcas Brandon, et désire que Charles le conseille sur les aspects financiers et légaux du mariage. Dorcas est une jeune fille énigmatique, d’une grande beauté mais d’une grande froideur. Elle a pour confidente et amie Rachel Hall, une cousine célibataire qui vit chichement dans un cottage non loin de là. Hélas, Dorcas n’éprouve aucune affection réelle pour Mark, qui n’en a pas davantage pour elle. En réalité, les Wylder et les Brandon sont des branches de la même famille et les biens et propriétés des Brandon ont alterné de génération en génération d’une famille à l’autre. Le mariage de Mark et de Dorcas serait donc une manière de régler une situation extrêmement complexe et d’unir leurs fortunes. Mais le frère de Rachel, le commandant Stanley Hall, homme roublard, violent et cynique, ne songe lui-même qu’à épouser Dorcas et est prêt à tout pour faire annuler le mariage sur le point d’avoir lieu. Tandis que la tension monte et que les intrigues se nouent, Mark Wylder disparaît une nuit sans laisser de traces. Étrangement, des lettres signées de sa main continuent à arriver chez différents destinataires… Cette disparition inattendue ne semble pas bouleverser Dorcas outre mesure : la jeune femme a décidé de rompre cet engagement sans amour, d’autant qu’elle éprouve des sentiments envers un autre homme. Contre toute attente, il s’agit du révérend William Wylder, le frère désargenté de Mark. Mais Josiah Larkin, un homme de loi sans scrupules, manipule le pauvre révérend confronté à de graves difficultés financières, et dont la vertu n’a d’égale que la crédulité. Peu de temps après la disparition de Mark, surgit dans les bois et le long des corridors du manoir un fantôme annonçant que la vérité surgira bientôt…


Que s’est-il réellement passé ? Qui avait intérêt à tuer Mark, dont on retrouve bientôt une main coupée dans la forêt ? Vous le saurez en lisant ce livre passionnant. Car il faut le dire, tous les ingrédients du thriller gothique victorien sont là pour nous tenir en haleine de la première à la dernière page. Un univers d’enfermement et de claustration, une noblesse terrienne aux règles strictes, empreintes d’hypocrisie et de mensonges, des querelles de famille et de propriétés, de belles héroïnes, des hommes mesquins et lâches, la folie et le meurtre, sans oublier un brin de surnaturel… Si le nom du coupable, sinon la nature exacte du crime, nous est rapidement révélé, Le Fanu s’est attaché davantage à peindre les portraits psychologiques de ses héros et les effets du crime ourdi dans l’ombre. Et il le fait, comme toujours, remarquablement. Dans une langue riche, sans doute encore sublimée par la traduction, ce marionnettiste habile nous emporte dans un univers social et familial où tout n’est qu’apparence, et où, dans l’ombre, se trament les pires drames et les plus épouvantables conspirations. En résulte un récit angoissant et intense, peinture remarquable de l’époque victorienne et de ses codes parfois mortifères. Amateurs de suspense et de frissons, courrez vite chez votre libraire !