Littérature française

Éric Laurrent

Berceau

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photo libraire

Chronique de Sandrine Maliver-Perrin

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Entre avril 2012 et septembre 2013, Éric Laurrent s’est rendu une vingtaine de fois au Maroc pour y retrouver l’enfant abandonné qui allait devenir son fils. De cet épisode marquant de sa vie d’homme et de père, l’auteur nous donne à lire un récit sobre et intense, aussi juste que délicat.

Éric Laurrent a le don de surprendre ses lecteurs avec des romans débordant d’invention et de fantaisie. On se souvient de son entrée en littérature avec le détonant Coup de foudre, aussi burlesque qu’un film de Buster Keaton. Suivront Les Atomiques, à la couleur et au goût du roman d’espionnage, qui met joyeusement à sac tous les lieux communs associés à ce genre. Puis Liquider (tous les trois chez Minuit), qui s’attaque au roman policier tout en mettant en lumière les maux et travers de notre société. L’auteur a l’art et la manière de saisir les êtres et les choses, de jouer avec la langue et de surprendre son lecteur à chaque texte. C’est encore le cas avec ce récit, dans lequel il nous conte son parcours pour devenir père. Nombreuses sont les personnes dont le désir d’enfants ne peut, pour une raison ou une autre, être comblé. L’adoption est un des moyens d’y remédier, pour peu que l’on soit prêt à accueillir un enfant dont on ne sait rien. Il faut également survivre au parcours du combattant que représentent les démarches et les années nécessaires à l’aboutissement d’une demande d’adoption. Cette expérience difficile et douloureuse, Éric Laurrent, 46 ans, et sa compagne Yassaman l’ont vécue après avoir compris qu’ils ne pourraient jamais avoir d’enfants. Leur petit Ziad est né le 27 avril 2012, à Rabat, au Maroc, d’une jeune célibataire à laquelle la religion et la société ne permettaient évidemment pas de le garder, quand bien même l’aurait-elle voulu. C’est un beau bébé qui devient rapidement la coqueluche du personnel de l’orphelinat. Éric est cependant sceptique : il n’aime guère les nourrissons et est gêné par la couleur de la peau de l’enfant, si foncée par rapport à la sienne. Cet enfant n’est pas de son sang. Pourtant, un regard, un sourire de Ziad balayeront vite ses réticences. Éric fond en larmes, submergé d’émotion et d’amour : le voilà devenu père. Mais d’autres obstacles vont surgir : la loi marocaine se durcit et décide de ne plus accorder le droit aux étrangers d’adopter des enfants marocains. Une difficulté de plus pour les couples en attente, qui sera balayée grâce à l’intervention et à la détermination de la Princesse Lalla Zineb. Peu à peu, Éric découvre ce petit ange brun aux longs cils, amoureux des livres et des images, assiste à ses premiers mots, à ses premiers pas, et apprend à être père. Entre descriptions des conditions de vie de l’orphelinat, découverte d’un Maroc plein de contradictions, visites de lieux chargés d’Histoire qui lui inspirent réflexions et rêveries, errances dans les souks parmi les odeurs d’épices et les relents de pourriture, Éric Laurrent nous offre un récit pudique et intimiste, plein de délicatesse, avec, toujours, cette langue et ces digressions que l’on aime. Un récit juste et sensible, traversé d’un bout à l’autre par l’amour paternel. Un récit qui montre que les liens du cœur sont parfois beaucoup plus puissants que ceux du sang.