Littérature étrangère

Jonathan Franzen

Freedom

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photo libraire

Chronique de Christophe Daniel

Librairie La 25e Heure (Paris)

Dire du nouveau roman de Jonathan Franzen, Freedom, qu’il est sans doute l’un des plus attendus de cette rentrée littéraire n’est certainement pas exagéré. Auréolé de l’immense succès critique et public rencontré aux États-Unis lors de sa parution en 2010 (plus d’un million d’exemplaires vendus), gratifié de la « une » du magazine Time, ce qui constitue un événement plutôt exceptionnel, il y a fort à parier que ce monumental roman connaîtra un sort analogue à l’occasion de sa parution française aux éditions de L’Olivier.

Monumental, Freedom l’est à plus d’un titre, et d’abord par son « volume ». 800 pages environ, lesquelles, si elles ne constituaient pas comme c’est le cas un récit passionnant de bout en bout, menaceraient, en vous tombant des mains, de vous briser quelques orteils. Et monumental surtout par son ampleur et son ambition, couvrant quatre décennies de la vie de ses protagonistes avec une acuité et une intelligence remarquables. Dix ans après Les Corrections, portrait d’une famille américaine moyenne du Midwest dans les années 1990, Franzen nous invite cette fois à faire la connaissance de la famille Berglund, installée dans la très fitzgeraldienne ville de Saint-Paul. « Il y avait toujours eu quelque chose de plus ou moins bizarre chez les Berglund. » Partant de cette observation, le roman ausculte les relations des membres de la famille entre eux, avec leurs voisins, leurs amis, s’intéresse à leurs regrets, visite leurs choix et détaille leurs compromis. À travers le personnage central et particulièrement attachant de Patty, ex-basketteuse, et de sa rencontre avec Walter Berglund, dont on suivra, entre autres, l’évolution de la carrière d’avocat, l’auteur décrit en premier lieu l’histoire et l’anatomie d’un mariage et d’un équilibre conjugal rarement atteint, et à quel prix, entre raison et sentiment. Patty, comme tous les personnages du livre, est à la recherche de cette liberté, au sens existentiel et individuel du terme, qui donne son titre au roman. Mais ce titre justement, dans son absolue et sonnante affirmation, a valeur d’étendard d’une nation tout entière. Et à travers le microcosme de la famille Berglund, c’est l’histoire récente d’une certaine Amérique, urbaine et aisée, qui nous est contée. En dressant le portrait sur trois décennies des personnages qu’il a choisi de créer, Franzen englobe également les sphères politique, économique, et environnementale (on connaît l’intérêt que l’auteur porte à cette dernière) constituant pour beaucoup l’outil et le moteur de cette quête de liberté. Sur la forme, le style de Jonathan Franzen n’a rien de révolutionnaire, mais le récit bénéficie de procédés narratifs ingénieux, comme l’autobiographie de Patty écrite à la troisième personne sur le conseil de son thérapeute. Et puisque l’on est dans un pays où le rock’n’roll fait partie intégrante de la culture populaire, on croisera également la figure du très charismatique poète musicien Richard Katz (dont la ressemblance physique avec Kadhafi donne lieu à de savoureux commentaires), meilleur ami de Walter et partition essentielle dans le triangle amoureux qui forme le cœur de Freedom. Un autre monument de la littérature, Guerre et Paix, hante les pages du récit de Franzen. Patty s’y plonge avec délectation et semble y trouver un écho à sa propre histoire ; mais c’est à la célèbre première phrase d’un autre roman de Tolstoï, Anna Karénine, que l’on pense à la lecture de Freedom : « Toutes les familles heureuses se ressemblent. Chaque famille malheureuse, au contraire, l’est à sa façon. » Jonathan Franzen réussit magistralement à illustrer le credo romanesque de Tolstoï.