Bande dessinée

Bertrand Galic , Kris

Violette Morris

illustration
photo libraire

Chronique de Igor Kovaltchouk

Librairie Actes Sud (Arles)

Avec cette BD trépidante aux personnages bien campés, Javi Rey, Bertrand Galic, Kris et l’historienne Marie-Jo Bonnet nous font découvrir une femme hors normes pour son époque, à l’appétit de liberté insatiable, exécutée par des Résistants normands en 1944. Une évocation de sa vie, une enquête sur sa mort.

Début septembre 1945, en Normandie. Le cadavre d’une quinquagénaire à l’allure masculine, qui avait subi de son vivant l’ablation volontaire de sa poitrine, est retrouvé dans une mare, aux côtés d’une famille de collaborateurs exécutée dix-huit mois auparavant par le réseau de résistants Surcouf. Lucie Blumenthal, ancienne avocate devenue détective privé dont la spécialité est de retrouver les personnes disparues pendant l’Occupation, reconnaît immédiatement dans le descriptif du médecin-légiste Violette Morris, une de ses amies de jeunesse. Dès lors, l’histoire va balancer entre l’enquête sur sa mort menée par Lucie et des flash-back sur la vie de l’un des personnages les plus excentriques et scandaleux de l’entre-deux-guerres, sportive accomplie, chanteuse de cabaret, amie des artistes les plus créatifs de son temps. Le personnage de Violette Morris est si extraordinaire, si follement romanesque, qu’on se demande pourquoi il n’a pas déjà fait l’objet d’un livre. Puis, on se souvient que Violette Morris a, dans les années 1920, défrayé favorablement la chronique avec ses exploits sportifs, ses records et ses médailles. Elle a aussi participé au pire des années 1940, passant pour une collabo active en frayant avec Bonny, Lafont et les autres gestapistes français du 93 de la rue Lauriston de sinistre mémoire. Difficile dès lors de la choisir comme l’héroïne d’une œuvre de fiction. Une gageure pourtant réussie par les auteurs de cette BD, qui ne se contentent pas de nous livrer un portrait à charge de Morris, mais nous donnent les clés pour, peut-être, comprendre comment elle en est arrivée là. Et ils nous livrent, en creux, la description d’une époque où la femme n’avait pas voix au chapitre et devait se contenter de sa condition de fille, puis d’épouse, puis de mère obéissante. Violette Morris, dont la grand-mère elle-même était une forte femme, ne s’est jamais contentée de la place qu’on lui avait assignée, s’est toujours résolument battue pour qu’on la considère, non pas comme une aimable curiosité mais, au minimum comme l’égale des hommes, voire plus. Pendant la Grande Guerre, ambulancière à moto, elle apprend à piloter une automobile avec son mari, épousé suivant la volonté de ses parents, sa seule concession aux conventions sociales. Après 1918, grâce à ses qualités physiques largement au-dessus de la moyenne, elle réussit son pari de faire connaître le sport féminin comme pratique athlétique plutôt que divertissement mondain. Ce premier tome de sa biographie se clôt sur son intention assumée de se conduire comme elle l’entend, de s’habiller et vivre comme un homme si tel est son désir, de jouir sans interdit. Née trop tôt dans une société encore corsetée, cet appétit de vivre sans limites va déplaire. Scandaleuse, extravagante, provocatrice, Violette Morris montera bien trop haut et bien trop vite pour ne pas chuter lourdement. Comme on le découvrira dans le deuxième tome. Une grande BD sur un personnage complexe et fascinant.