Bande dessinée

Hugues Micol

Scalp

illustration
photo libraire

Chronique de Igor Kovaltchouk

Librairie Actes Sud (Arles)

Avec son nouvel album Scalp, Hugues Micol explore la légende noire de John Glanton et de sa bande de desperados. Leur spécialité : tueurs d’Indiens. Le dessin évoque un Gustave Doré sous peyotl et le scénario ressemble à un western de Sam Peckinpah. Chronique d’une longue chevauchée vers une mort annoncée.

En 1846, la jeune République du Texas, dégagée de la tutelle du Mexique depuis peu, demande son rattachement aux États-Unis. Une guerre de deux ans entre ces derniers et le Mexique a suivi, où les massacres perpétrés par un camp suivaient les exactions commises par l’autre, chacun comptant en son sein des hommes féroces, cruels, impitoyables. John Glanton, chassé du corps des Texas Rangers pour excès de violence et insubordination, était probablement le pire d’entre eux. C’est son histoire qu’Hugues Micol raconte dans cette impressionnante BD. Après la guerre, John Glanton offre ses services et ceux de ses compagnons fidèles, comme lui brutaux et aguerris, à des provinces du nord du Mexique ou du sud des États-Unis menacées par des raids d’Indiens. Pour toucher les primes promises, Glanton tient la comptabilité macabre de ses dizaines de proies en les scalpant, comme les Indiens avaient scalpé sa première fiancée, une décennie auparavant. Mais l’horreur de ces exécutions et l’imprévisibilité du caractère tourmenté de Glanton et de ses compagnons vont alarmer jusqu’aux plus hautes autorités mexicaines et américaines, soucieuses d’apaiser les relations avec les Indiens. Dès lors, poursuivie par ceux-là même qui l’avaient engagée, la troupe de tueurs d’Indiens sera emportée dans une fuite éperdue où la violence, l’alcool et la démence se répondent comme les voix d’un chœur antique perverti, dans les étendues encore désertiques d’un pays en pleine expansion. Attention : Hugues Micol livre ici un ouvrage puissant, de la lecture duquel on ne sort pas indemne, mais sonné, comme après un choc. Il transforme la chevauchée sinistre de Glanton, traversé par une folie qui le dépasse, en une chanson de geste torve, noyée dans le mauvais whisky, la noirceur, la cupidité et l’obscénité. Quand le temps des guerres passe, celui des soldats passe également. Glanton et sa troupe sont des soldats perdus et désespérés que personne n’attend dans une société qui ne veut pas reconnaître les monstres qu’elle a engendrés. Ils sont les cicatrices dérangeantes d’une nation née dans la violence, désormais soucieuse de respectabilité. La mauvaise conscience des tous jeunes États-Unis d’Amérique, en quelque sorte. Micol sert sa narration avec un noir et blanc dynamique qui accentue encore le caractère fantastique de cette épopée suicidaire. Rien n’arrête l’œil du lecteur, pris dans une impressionnante cavalcade, sans autre cadre pour limiter la ligne et le mouvement que celui de la page tout entière, comme dans un étrange carnet de voyage qui décrirait une lente chute libre vers les confins de l’existence. Et, à la fin, le dernier scalp dont rêve John Glanton n’est autre que celui de Dieu lui-même. Scalp, c’est un western sombre et barbare où une vie humaine vaut simplement une balle de revolver et une poignée de dollars. Un grand album, d’une force brute, à lire au goulot.