Bande dessinée

Le retour du roi des pulps

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photo libraire

Par Igor Kovaltchouk

Librairie Actes Sud (Arles)

Dans l’imaginaire collectif, Conan, c’est Arnold Schwarzenegger au regard inexpressif incarnant, dans un film de 1982, un barbare musculeux un peu limité, chaussé de cuissardes et vêtu d’un slip en fourrure. Mais le personnage est, évidemment, un tout petit peu plus complexe. Explications.

Début des années 1930. La crise économique frappe de plein fouet les États-Unis. Robert E. Howard écrit de courts westerns et récits fantastiques à destination de magazines pulps (ainsi nommés car ils étaient imprimés sur du mauvais papier en pulpe de bois) que le public populaire américain plébiscite pour leur haut potentiel d’évasion à bas prix. La crise frappant aussi les écrivains, Howard doit diversifier sa production. L’idée lui vient alors de créer un héros dont les aventures mèneraient le lecteur loin d’un quotidien maussade, dans un monde imaginaire calqué sur le nôtre, fourmillant de détails et d’inventions, où se télescoperaient les époques et les distances. Ce sera le monde de l’âge Hyborien, entre la fin de la légendaire Atlantide et l’avènement des pharaons, dont les royaumes sont fortement inspirés des grands Empires de l’Antiquité ou des principautés du Moyen Âge. Un monde où la magie noire est une arme aussi redoutable que mille soldats, où les complots font tomber les couronnes, où les poisons sont violents et les femmes fatales. Le monde de Conan. Conan est un Cimmérien, issu d’un rude peuple nordique habitant d’arides et froides collines. Il vit de son épée et de rapines, trouvant à coup sûr l’aventure sans vraiment la chercher. Au fil de la vingtaine de nouvelles qui composent le cycle de Conan, le Cimmérien devient tour à tour voleur, roi, capitaine mercenaire, explorateur, pirate, le tout dans le désordre chronologique le plus total. Si leur forme tient plutôt, en règle générale, de la cavalcade, le fond des nouvelles les plus longues et les plus célèbres sont d’un pessimisme absolu, à l’image de leur auteur : toutes les civilisations, les plus brillantes soient-elles, sont vouées à décliner, à disparaître, puis à sombrer dans l’oubli. Conan lui-même, en ombre portée de son auteur, n’a guère d’illusions sur le monde dans lequel il évolue. Il n’obéit à aucune loi, ne révère personne et n’a pour objectif que de survivre afin d’assister à une aube nouvelle. Ni Dieu ni maître, mais une lame aiguisée. Howard arrête d’écrire les aventures de Conan en 1935. Il se suicidera un an plus tard. Les éditions Glénat ont eu la riche idée de demander à des scénaristes et dessinateurs français d’adapter des nouvelles de Conan écrites par Howard. Esthétiques et efficaces, les deux premiers tomes viennent de paraître. Chaque album possède son propre style graphique : Le Colosse noir est plus classique dans l’esprit et La Reine de la Côte noire est plus pop dans son traitement ; les deux n’en respectent pas moins les incontournables de toute aventure de Conan, rappelés en postface dans de longs et passionnants dossiers sur l’œuvre d’Howard rédigés par l’excellent Patrice Louinet : du pur divertissement avec un personnage qui, par sa philosophie libertaire, son mépris des règles et sa soif de vivre, vaut mieux que l’image du barbare stupide qu’il traîne depuis 40 ans. Sans cuissardes ni slip en fourrure. Une série extrêmement prometteuse.