Bande dessinée
Gaëlle Geniller
Minuit passé
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Gaëlle Geniller
Minuit passé
Delcourt
30/10/2024
204 pages, 25,50 €
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Chronique de
Mehdi Ain-Bouzid
Librairie L'Alternative (Neuilly-Plaisance) - ❤ Lu et conseillé par 27 libraire(s)
✒ Mehdi Ain-Bouzid
(Librairie L'Alternative, Neuilly-Plaisance)
Étrange hybride entre Shining et un conte merveilleux, Minuit passé est la troisième collaboration de Gaëlle Geniller avec Delcourt. On y retrouve des thèmes déjà présents dans ses œuvres précédentes (langage des fleurs, douceur et présences féminines) saupoudrées d'un arôme d'inquiétante étrangeté.
Restaurateur d’œuvres d’art, Guerlain s'installe avec son jeune fils Nisse dans le manoir familial qu'il n'a pas revu depuis son enfance. Pour une raison qu'il ignore, il n'a quasiment pas de souvenirs de cette époque où il habitait la gigantesque demeure, sous la garde de ses trois grandes sœurs. En attendant que son épouse les rejoigne, Guerlain en profite pour travailler dans son atelier, dépoussiérer les zones habitables et profiter de son fils, enchanté par le nouveau terrain de jeu que représente le jardin, les multiples pièces secrètes et l'interminable bibliothèque du manoir. Dans leur petite bulle, père et fils passent des jours tendres et heureux, puis font un jour une découverte étrange. Inquiétés par un bruit en provenance d'un placard, ils en libèrent trois corneilles qui semblent ne plus vouloir quitter la proximité de Guerlain. Encore plus bizarre, celles-ci lui offrent continuellement des pétales de fleurs, même durant son sommeil. Peu à peu, des signes plus inquiétants se manifestent, des silhouettes que l'on aperçoit du coin de l’œil, des voix au téléphone qui n'appartiennent à personne... Alors que les insomnies de Guerlain reprennent, il devient évident qu'après minuit, Nisse n'est pas la seule autre personne dans la maison. Construit comme un récit horrifique, Minuit passé n'en est pourtant pas tout à fait un. Si l'on tremble avec Guerlain devant les ombres et les silhouettes, on reste subjugué par le clair-obscur envoûtant de Gaëlle Geniller. Les ténèbres n'y sont que l'opportunité de se jouer des couleurs chaudes de la lueur rassurante d'une bougie. La nuit permet de mettre en relief la lumière tamisée entourant le visage de Guerlain lisant l'histoire du soir à Nisse. Tout dans le trait et les couleurs de l'autrice déborde de tendresse et de douceur, à l'image de la relation entre le père et son fils. Ce petit garçon, comme s'il n'avait pas encore appris à avoir peur, est finalement celui qui rassurera l'adulte par sa gentillesse et son empathie. Comme dotée d'une sagesse candide qu'il n'aurait pas encore perdue, c'est lui qui nous rappelle que si l'inconnu nous angoisse, c'est parce qu’il faut juste essayer de le comprendre. Tel un essai sur la peur et le souvenir, Minuit passé est un conte qui parvient l'étrange exploit de jongler entre angoisse et tendresse, et d'en souligner la beauté. Un très joli récit de maison hantée, parsemé de réconfort. En bonus, quelques pages de travaux préparatoires, notamment sur les tenues splendides des personnages.