Polar

Robert J. Lloyd

La Société royale

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photo libraire

Chronique de Renaud Layet

Librairie Série B (Toulouse)

Une fois de plus confronté à des cadavres mutilés dans les ruelles de Londres, le lecteur aguerri de thriller historique pourrait se croire en terrain connu. Mais contrairement à la plupart de ses confrères, La Société royale se déroule à une période extrêmement singulière de la longue histoire de la capitale britannique.

Alors que se termine difficilement le XVIIe siècle, la Londres médiévale n’en finit plus d’agoniser tandis que la Londres moderne tarde encore à naître : la cité peine à se relever de la guerre civile, de la peste et du grand incendie. Des immeubles flambants neufs y côtoient les vénérables bâtiments marqués par les flammes et les quartiers dévastés par la maladie, rappel constant que le chaos du passé menace encore le fragile équilibre du présent. Tant dans l’ambiance que la topographie, le cadre extraordinaire de cette métropole unique en son genre est donc le premier gros atout de ce roman. Mais comme si tous ces malheurs ne suffisaient pas, le roi Charles II, tout juste de retour sur ce qu’il estime être son trône de droit divin, ravive déjà les tensions avec le Parlement, qui ont pourtant coûté si cher à son père, et laisse pourrir le conflit de moins en moins latent entre catholiques et anglicans. Rien d’étonnant donc à ce que la découverte du corps d’un enfant entièrement vidé de son sang ne soit avant tout prétexte à accuser les nombreux ennemis, réels ou supposés, de la couronne, des papistes aux cromwelliens. Peut-être qu’en cette obscure période d’extrémisme politique et religieux, la lumière viendra de la science. C’est là l’autre originalité du roman de Robert J. Lloyd qui confie l’enquête aux bons soins de Robert Hooke, le « Léonard de Vinci anglais », pionnier de l’expérimentation scientifique et dont le journal a grandement inspiré notre auteur. Secondé par son ancien élève Harry Hunt, ce détective atypique va essayer d’éclaircir cette affaire qui n’en finit pas de se complexifier, en utilisant la science et la raison défendues par la toute jeune Société royale qu’il a contribué à fonder. Si l’on est encore loin de la police scientifique, en observer les balbutiements est peut-être encore plus passionnant, d’autant que l’amour de la science pour la science va parfois entraîner nos enquêteurs un peu trop loin. Mais si Lloyd soigne particulièrement sa reconstitution historique, tant au niveau du cadre que des personnages, n’allez pas croire que c’est au détriment de son intrigue : à mesure que les meurtres s’enchaînent, les pressions et les tentatives de récupération se multiplient autant que les révélations et les coups de théâtre. Le roman allie donc à parts égales la nervosité et la noirceur des meilleurs thrillers contemporains à l’atmosphère soignée et la rigueur des romans historiques les plus sérieux.