Littérature étrangère

Robert Jackson Bennett

American elsewhere

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photo libraire

Chronique de Renaud Layet

Librairie Série B (Toulouse)

Depuis l’annonce de sa création, il y a un an, les fans de littératures de l’imaginaire attendaient de pied ferme le nouveau label d’Albin Michel qui leur est consacré. Alors que les trois premiers titres sont enfin là, il est temps de juger sur pièce.

De la fantasy, du fantastique et de la science-fiction, l’assortiment de départ ne fait pas de jaloux ; mais la diversité affichée par la collection ne se limite pas aux genres abordés, puisque les trois titres de cette première vague s’adressent aussi à des publics différents. Mage de Bataille, de Peter A. Flannery, est ainsi plutôt destiné aux amateurs d’heroïc fantasy classique et même de fantasy initiatique pour être plus précis. C’est donc attaché aux pas de deux amis d’enfance destinés à accomplir de grandes choses que nous allons découvrir la véritable force de ce roman, son univers extrêmement riche et détaillé à défaut d’être complètement original. Venu du jeu de rôle, Flannery maîtrise son world-building sur le bout des doigts et nous dévoile peu à peu cet univers où la magie, si elle est indispensable à la guerre, peut être plus dangereuse pour ceux qui l’utilisent que les pires de leurs ennemis. Soulignons enfin le rythme soutenu avec lequel il mène son intrigue, une rareté appréciable dans la production fantasy moderne ! American elsewhere, de Robert Jackson Bennett, est susceptible de plaire au plus grand public pour peu qu’une bonne dose de fantastique horrifique ne l’effraie pas trop. Une ancienne policière à la dérive y hérite d’une maison dans la ville de Wink, Nouveau-Mexique, charmante bourgade perdue au fin fond des États-Unis et n’apparaissant sur aucune carte, et ce pour d’excellentes raisons qu’elle va s’efforcer de découvrir. Si Wink n’a rien à envier à Derry ou Innsmouth, Bennett parvient à se détacher de ses inspirations en se concentrant sur ses personnages étonnamment complexes et attachants, notamment la tragique mais intraitable Mona, tout aussi décidée que le lecteur à aller au bout de cette histoire. Impossible à lâcher, jusqu’à la parfaite révélation finale. [anatèm], de Neal Stephenson, est réservé aux fans de science-fiction les plus pointus. Situé sur une planète où la science et la religion ont fusionné dans des communautés monastiques aux traditions millénaires baroques et extrêmement complexes, ce roman multiplie les termes et les concepts aussi imaginatifs qu’abscons, exigeant de son lecteur une attention de tous les instants. Mais l’ambition, la puissance de cette œuvre valent largement les efforts consentis et confortent un peu plus la place de Stephenson parmi les très grands de la SF moderne. Il y a du Gene Wolfe dans ce [anatèm] et, en termes de comparaison flatteuse, on ne peut pas aller beaucoup plus haut !