Essais

Alain Corbin

Histoire de la joie

✒ Linda Pommereul

(Librairie Doucet, Le Mans)

Dans cet essai passionnant et documenté, Alain Corbin explore les différentes dimensions de la joie, dans son essence et dans l’Histoire. Il s’appuie sur de nombreuses références philosophiques, littéraires, spirituelles pour nous montrer comment la joie peut être un moteur de transformation personnelle et d’accomplissement de soi.

En une vingtaine de chapitres, Alain Corbin nous propose une histoire de la joie. Qu’elle soit intime, collective ou céleste, elle est surtout vécue comme une forme d’accomplissement de soi. En partant de la définition du Bescherelle de 1865 qui la désigne comme « le mouvement vif et agréable que ressent l’âme dans la possession assurée, présente et future d’un bien réel ou imaginaire », la joie peut-être source de sentiments contradictoires. Au-delà de la vibration, du choc émotionnel, c’est la douceur de la joie et la volonté d’en faire un état permanent qui intéressent la Bible et le christianisme. Le calendrier liturgique se révèle ainsi un guide d’accès à cette joie céleste pour les fidèles qui aspirent au paradis. Mais la joie peut-être a contrario sadique quand elle se nourrit du malheur d’autrui. « Nuire, c’est jouir », selon un personnage de Victor Hugo. Un sentiment de satisfaction liée à l’orgueil, au pouvoir et qui s’exprime au sein de la société. Alain Corbin mène également son enquête auprès de philosophes comme Spinoza. La joie change en effet de destination avec l’effacement d’un dieu omnipotent au profit de la conception des Lumières centrée sur l’homme. « La joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. » Alain Corbin passe au crible les différentes palettes de joie au sein de la cellule familiale, des amitiés, de l’amour naissant. Le rapport à l’amour et son évolution au fil des siècles est essentiel à la compréhension de l’histoire de la joie, notamment dans l’appréhension de la sexualité. Alain Corbin continue son exploration à travers des chapitres dédiés à la réussite, à la musique qui convoque une joie indicible jusqu’à ce sentiment d’émerveillement devant les beautés de la nature. La puissance de la joie se révèle ainsi dans une simple contemplation. Autant que la simplicité de la joie lors du labeur dans les campagnes. Il évoque aussi une autre joie, celle des différents âges de la vie. Et même si, de prime abord, nous exaltons les joies de l’enfance et de la jeunesse comme les plus intenses, la vieillesse incarne une tempérance et une nostalgie fort agréables. De la joie de vivre, de guérir ou contre le pessimisme ambiant, Alain Corbin signe un essai érudit et lumineux. Il nous montre que ce sentiment s’exprime sous des formes multiples, de la Renaissance à aujourd’hui au gré des évolutions sociétales, du rythme des saisons, de notre culture, de notre foi ou de notre intimité dans un renouvellement incessant et malgré les injonctions. Une quête de liberté en soi.

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