Polar

Ron Rash

Un silence brutal

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Chronique de Anne-Sophie Rouveloux

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Chandler, Dantec, Himes… Tous furent publiés dans une collection emblématique restée silencieuse pendant quatorze ans. « La Noire » revient avec la réédition de Nadine Mouque d’Hervé Prudon et deux inédits. Stoneburner, du maître du southern gothic William Gay, et Un silence brutal de l’incontournable Ron Rash.

Le grand poète des Appalaches nous entraîne dans un petit village de Caroline du Nord. La communauté que l’on découvre semble paisible. Mais deux voix vont se faire entendre, dévoilant peu à peu les luttes intestines qui déchirent ses habitants. Les, shérif de 51 ans, s’apprête à partir à la retraite. Par petites touches, on découvre en lui un homme solitaire, assombri par ce qu’il a vu et vécu. Sur le plan personnel, la mort de sa femme le hante car il se sent responsable. Sur le plan professionnel, il peut difficilement faire face à ceux que la crystal meth a ravagés et qu’il doit encore gérer pendant quelques semaines. Un silence brutal évoque sa dernière enquête qui prendra pour lui une signification autrement profonde. Un bassin de truites appartenant au businessman Tucker a été empoisonné et il est urgent de désigner un coupable. Tout porte à croire qu’il s’agit de Gerald, vieillard mal en point et inoffensif, en apparence. Pourtant, ce ne peut pas être lui. C’est ce qu’affirme Becky, personnage solaire de ce roman noir. Elle est l’autre voix du récit. À travers elle naît la poésie. Traumatisée par une fusillade lorsqu’elle était enfant, elle survit grâce à quelques vers qu’elle nous livre, composant une véritable ode à la nature. Le récit, en cinq actes, fera bien sûr avancer l’enquête mais permettra d’en dévoiler un peu plus sur tous les personnages, impliqués de près ou de loin dans l’acte criminel. Les âmes sont interrogées avec une subtilité pleine de respect pour ce qui les a construites. Si la vie est dure, les traumatismes lourds, le personnage de Les fera preuve d’une immense humanité envers tous les membres de cette zone rurale. Dans ce récit désenchanté, Ron Rash invoque des personnages bouleversants. Même si Becky affirme que « la nature révèle ce qu’il y a de meilleur en l’homme », nous sommes ici dans un roman noir où les faiblesses, les erreurs des hommes sont nombreuses. L’apaisement, le calme de la nature font au contraire ressortir la violence de ses habitants. Tous les destins de ces derniers sont liés et Ron Rash s’attache à dépeindre un microcosme qui, bientôt, changera. Lorsque Les abandonnera son poste à Jarvis, ce monde sera peut-être un peu moins humain. Un silence brutal, roman atmosphérique et émouvant, est une merveilleuse occasion de faire revivre « La Noire ». Nul doute que les prochaines parutions seront aussi marquantes et exigeantes.

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